Jacques Derrida commence la leçon intitulée Où commence et où finit le corps enseignant par la phrase : Ici, par exemple, n'est pas un lieu indifférent. Ici-maintenant est le lieu où il parle, dans une salle de classe, en tant qu'enseignant, à l'ENS. Ce lieu n'est pas neutre, il est encadré par un appareil parergonal travaillé par de multiples forces. Et le voici, Jacques Derrida, qui dit "je", qui parle de son expérience personnelle. J'enseigne depuis 15 ans, dit-il, comme agrégé-repétiteur, maître-assistant d'histoire de la philosophie, et disant cela il ne renie pas son appartenance au "corps enseignant philosophique français" (anonyme), mais il ajoute quelque chose de plus: Je suis celui qui s'est engagé dans la déconstruction du phallogocentrisme. Ce discours-là, celui qu'il signe, est "irrecevable pour un corps de lecture universitaire". C'est toujours le même corps; mais en le faisant parler, ce corps, ce "je", on le transforme. Alors que le corps du maître (le corps autorisé, titré, habilité) est toujours en train de se retirer au bénéfice d'un corpus [le texte qu'il dicte, l'université, le corps socio-politique], de s'effacer, de répéter cet effacement ou de simuler sa disparition, le corps du philosophe derridien [ou "moderne", ou déconstructeur] se glisse dans les brèches du système.

Quand le corps enseignant n'est plus transcendantal, quand il refuse sa cadavérisation, quand il devient mon corps, il s'excentre, et ce qui fait irruption, selon Derrida, c'est un visage, un faciès avec des traits déterminés. En s'engageant dans une pratique de transformation de ce corps par les bords (constitution du Groupe de recherches philosophiques, le Greph - homonyme de greffe), Jacques Derrida introduit un écart, il signe cet écart : mon corps.

La femme du portrait (Fritz Lang, 1944).