Dans chaque film, le cinéma tente une greffe singulière de l'auditif et du visuel. Mais leur coïncidence est impossible (c'est un fantasme). Il faut faire le deuil de cette synchronie, toujours attendue mais toujours différée, emportée. Dans Blow out (film de Brian de Palma, 1981), " la vue et l'écoute ne cessent de se frôler, de se toucher, de se heurter, bref, de s'accidenter l'une l'autre" écrit Peter Szendy. C'est cet appel vers la coïncidence qui conduit Szendy à avancer l'hypothèse d'un routage des sens.

Dans un film, la bande-son court au bord des images, comme un accotement. Les deux voies sensibles (l'écouter et le voir) ne sont pas synchrones. Le frayage sonore n'est pas parallèle au frayage visuel; l'un et l'autre n'ouvre un monde que par la différence des deux pistes.

Dans Death Proof (Quentin Tarentino, 2007), un cascadeur maniaque assassine des jeunes filles en utilisant son véhicule comme arme de mort. Tarentino rend manifeste le déplacement de la jouissance sexuelle (les filles ne cessent de parler sexe, tandis que l'homme ne conçoit de "petite" mort que par le meurtre). Mais le rythme occupe aussi une place essentielle dans le film. Les quatre premières filles (un groupe de chanteuses) sont tuées en pleine extase (une débauche de musique dans la voiture lancée à pleine vitesse), tandis que dans le second groupe, la cascadeuse, à l'avant de la voiture (elle aussi lancée à pleine vitesse), écarte les jambes comme si son plaisir était proportionnel à la puissance du vent. Le routage des sens dont parle Szendy ne concerne pas seulement la vision et l'audition. Toutes les pulsions, toutes les bordures du corps sont concernées.