Paul de Man utilise le mot "matérialité" pour désigner ce qui, selon lui, est la littéralité de la lettre. Sa force, c'est qu'elle dissocie, elle démembre, elle défigure, elle fracture, elle désarticule, elle dissémine. Elle n'est pas une substance (sensible, esthétique ou intelligible), mais un lieu sans forme ni matière, un lieu qui résiste à toute totalisation, à toute forme organique. Ce qu'il appelle événement textuel est lié à cette "matérialité" (entre guillemets). C'est une machine, machine à lettre ou à écrire, isolée de la rhétorique ou de la référence, qui déconstruit le corps propre et résiste à toute institution ou appropriation.

L'exemple privilégié d'événement textuel choisi par Paul de Man est l'aveu par Jean-Jacques Rousseau, deux fois (dans les Confessions et dans la Quatrième Rêverie du promeneur solitaire), d'une faute qu'il a commise, un crime : avoir accusé une servante, la jeune Marion, d'un vol de ruban qu'il avait lui-même commis. Retenir cet événement, le confesser, le déclarer, le consigner, l'archiver, c'est aussi le produire, c'est aussi l'inscrire dans le mouvement d'une machine à écrire qui combine l'événement (une seule fois) et un pouvoir, une force.