Quand il cherche à décrire l'amitié "vraie et parfaite" (par opposition à l'amitié vulgaire, médiocre), Cicéron cite des amitiés célèbres, celle de grands hommes connus, une amitié attestée par des signes publics et politiques. Ces amitiés sont exemplaires car elles sont rares. Associées à la lumière et à la gloire, elles illustrent des réussites, des succès démontrés par la renommée de ces amis qui sont cités par-delà la mort. L'amitié promet un retour, un survivre. Elle est testamentaire. Si tu as des amis, tu as l'espoir d'être cité, glorifié, tu peux espérer ce passage qui ignore la mort - celui de l'éloge funèbre. C'est un espoir incommensurable pour celui qui rêve d'immortalité et peut espérer la lire dans les yeux de son semblable, dans une logique qui n'est pas celle de l'autre, mais du même. Dans cette tradition qu'on peut dire, aujourd'hui, finissante, on s'imagine déjà mort, survivant dans la bouche de son ami, une mise en scène onirique mais détestable [car une amitié instrumentalisée n'est plus une véritable amitié].

L'acte d'amitié, donc, voit venir la mort, il s'y réfère, il projette son élan vers l'horizon de la mort. Aimer d'amitié, c'est se sentir d'avance engagé à aimer l'autre par-delà la mort, porté à l'aimer sans limite, avant tout contrat. Avec cet acte, c'est l'appréhension du deuil qui surgit, sa hantise. L'ami pleure le mort avant la mort.