La structure testamentaire de l'amitié, c'est ce qui fait que d'une part l'amitié ne puisse se vivre qu'au présent, dans l'événement d'un acte constamment renouvelé; mais que d'autre part, si elle est fiable, elle puisse se projeter au-delà de la vie, par-delà la mort de l'autre, dans l'aimance ou l'éloge funèbre.

L'amitié est dissymétrique : l'aimant s'engage, il déclare qu'il aime, tandis que l'aimé peut ignorer qu'on l'aime. Jacques Derrida compare cette structure à celle de l'écho. La nymphe prend l'autre (Narcisse) au mot (le dernier mot). Elle le répète au présent. En le prenant à son compte, en le contresignant, elle l'interprète, elle le réinvente. Même sans corps ni chair, même réduite à une voix, elle reste capable d'entendre à sa manière, de recevoir un testament. Il en serait ainsi de l'archi-amitié : la capacité à recevoir l'adresse de l'autre, la capacité à garder en mémoire sa parole pour lui donner un autre sens. Peu importe que Narcisse soit mort ou vivant : Echo est celle qui accueille sa parole, qui reprend et déploie autrement son héritage.

Jacques Derrida repère dans cette structure testamentaire la possibilité d'une révolution politique, d'un questionnement sur le politique [Peut-on concevoir une autre politique à partir de l'accueil de la parole de l'autre?]