Nietzsche, proclamant la fin de l'antinomie des valeurs, se désigne lui-même comme fou vivant. Pourquoi fou? Pourquoi vivant? Ce qu'il a à annoncer ("peut-être alors l'heure de joie viendra-t-elle un jour elle aussi où chacun dira...") concerne l'avenir, mais c'est au présent qu'il l'annonce ("... s'écrie le fou vivant que je suis") (Humain trop Humain, I-376). Nietzsche a été présent, et sa parole qui prophétise Par-delà le bien et le mal s'adresse toujours à nous au présent. Et que dit-il? Peut-être les valeurs contraires sont-elles identiques dans leur essence. Peut-être faut-il se soustraire au concept (classique) de la vérité avec sa bonne conscience, se laisser contaminer par un autre possible. Peut-être y a-t-il une autre "vérité", qui reste à venir. Peut-être faut-il la promettre, dès à présent, par ces phrases capables de faire venir ce qui n'est pas encore déterminé, ces phrases "auto-téléiopoétiques".

Il faut de l'ennemi là où il y a de l'ami, il faut désirer les ennemis pour compter sur les amis, et il faut aimer ses ennemis, dit Nietzsche, ce fou qui avoue qu'on peut retourner la vertu contre elle-même, que les valeurs incompatibles peuvent coexister, que la vérité peut naître de l'erreur et le vrai de la tromperie.

Nietzsche conteste sa propre origine, il fait la guerre à sa filiation. De ce combat surgit une proclamation inouïe que Jacques Derrida reprend à son compte : de la folie naît la vérité.

Patiente de l'hopital psychiatrique Vilardebo (Uruguay, 1907-1909).