Le §44 de Par-delà bien et mal, dont on a reproduit ci-contre le début, se termine par la phrase suivante : "Voilà l'espèce d'hommes que nous sommes, nous, les esprits libres! Et peut-être n'êtes-vous pas sans nous ressembler un peu, vous qui venez, vous les nouveaux philosophes?" Nietzsche fait appel au lecteur pour le rejoindre, pour devenir un de ses amis, un des amis de la solitude, un de ces fous vivants susceptibles de donner une chance à quelque chose de plus grand que la liberté, quelque chose de tout autre. Ces philosophes ont déjà la responsabilité d'un avenir qui n'est pas encore déterminé, une double responsabilité :

- devant ceux qui, aujourd'hui, pensent l'avenir (les amis du "peut-être"). C'est à eux que l'adresse de Nietzsche est adressée. Chacun a une responsabilité singulière, irremplaçable.

- devant ceux qui ne sont pas encore là (ou leur spectre), mais qui sont déjà engagés par la phrase téléiopoétique, messianique.

Avant toute question, tout questionnement, il y aurait selon Derrida un peut-être qui suspendrait toutes les déterminations qui pourraient ordonner d'avance la réponse (le savoir, la science, la logique, l'éthique, etc., et même le langage). Acquiescer à ce peut-être, c'est accueillir l'indéterminé, c'est rendre possible l'affirmation de l'avenir et la déterminabilité elle-même. Ce moment est celui où penser et connaître sont disjoints, où aucune assurance du discours ne donne la certitude de l'existence.

Début du §44 de "Par-delà bien et mal" (Nietzsche).

La responsabilité, c'est qu'un "Je" doit répondre, dans la solitude, à l'appel. C'est une obligation. Pour penser, faire, vivre, ce "peut-être" porteur d'une altérité extrême, le discours doit se transporter au-delà de lui-même, dans une surenchère infinie.