Jacques Derrida considère la phrase "O mes amis, il n'y a nul amy" citée par Montaigne (qui l'attribue à Aristote), telle qu'elle est citée et transformée par Nietzsche dans Humain trop Humain : "Amis, il n'y a point d'amis! s'écriait le sage mourant; Ennemis, il n'y a point d'ennemi!, s'écrit le fou vivant que je suis". A qui s'adressent ces phrases? A un ami (ou un ennemi) présent ou absent? Cette ambiguité est dans la phrase. Soit on s'adresse à un ami ou un ennemi (présent); soit un porte un jugement sur un ami ou un ennemi (absent). La phrase est performative. Elle fait venir le destinataire en supposant sa présence; mais ce destinataire, elle le renvoie - car sa présence est seulement possible (peut-être). Cette structure est celle de toute phrase téléiopoétique ou messianique (ou quasi-messianique). Jacques Derrida renvoie sur ce point à un récit talmudique. Celui qui rencontre le messie, au présent, lui demande quand il viendra? alors que le messie se trouve déjà devant lui. Il est incrédule, inquiet. Le messie est déjà là, mais il n'a pas su l'entendre, lui explique le prophète Elie. Le présent n'était qu'une possibilité, un "à-venir".

Tout philosophe de l'avenir, tout philosophe du "peut-être" [c'est-à-dire tout philosophe du contemporain] doit faire face à cette structure.