Derrida
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TABLE des MATIERES :

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Index des termes

de l'oeuvre

de Jacques Derrida

Un seul mot - ou un syntagme.

         
   
Derrida annonce l'oeuvre à venir                     Derrida annonce l'oeuvre à venir
Sources (*) : La pensée derridienne : ce qui s'en restitue               La pensée derridienne : ce qui s'en restitue
Pierre Delain - "Pour une œuvrance à venir", Ed : Guilgal, 2011-2017, Page créée le 17 février 2015 Orlolivre : comment ne pas œuvrer ?

[Par son oeuvre, Jacques Derrida annonce l'"oeuvre à venir"]

Orlolivre : comment ne pas œuvrer ?
   
   
   
Au - delà de l'être : l'œuvrance Au - delà de l'être : l'œuvrance
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Jacques Derrida a écrit sur l'époque à venir, la démocratie à venir, l'alliance à venir, l'humanité à venir, le livre à venir, etc., mais il ne semble pas qu'il ait nommé ce qui, en définitive, aurait pu le concerner au plus haut point : l'oeuvre à venir. Car qu'a-t-il fait, lui, dans sa vie d'écrivain et de philosophe, si ce n'est œuvrer? Et que n'a-t-il cessé d'annoncer, performativement, par cette oeuvre qu'il a faite, si ce n'est une autre oeuvre déjà inscrite dans la sienne mais où virtuellement la sienne s'inscrirait, sur ses bords et aussi en-dehors, une oeuvre à venir qui n'a pas encore eu lieu?

On est tenté de poser la question : l'oeuvre à venir, qu'est-ce que c'est? et l'on recule aussitôt, car cela, qu'on nomme oeuvre à venir, n'est pas de l'ordre de l'être, de l'ontologie. Mais alors de quel ordre?

 

1. Elle est inanticipable.

On peut écrire le nom de l'oeuvre à venir, mais on ne peut pas l'anticiper. Ce nom ne peut pas renvoyer ou se référer à un contenu déterminé. En l'inscrivant, on s'adresse à l'autre, au tout autre - ce qui ne présuppose aucune possibilité de savoir ni de prévoir le destin de cette adresse. D'ailleurs cet autre ne préexiste pas à l'oeuvre à venir. S'il advient un jour, ce sera l'oeuvre qui l'aura fait advenir. Et si nous écrivons ici au futur antérieur, ce n'est pas pour marquer les temps, c'est pour les croiser. L'oeuvre à venir n'est ni en attente, ni reportée à plus tard. Bien que la page soit blanche, il se peut que l'écriture soit déjà en cours. Pour l'instant, on peut en parler et même écrire à son sujet, mais on ne peut pas la décrire. Le silence de l'autre la protège.

 

2. Elle met en oeuvre des principes inconditionnels.

S'il arrive qu'une oeuvre ait lieu, ce ne peut être qu'inconditionnellement, en-dehors de tout calcul, de toute finalité et de toute transaction (principe de l'oeuvre). Bien qu'il soit impossible de concrétiser effectivement ce principe, il n'est pas impossible de le mettre en oeuvre - ou d'en faire une oeuvre. Telle est peut-être la grande annonce, l'annonce majeure du présent texte : il ne faut pas perdre espoir, il faut se mettre à l'oeuvre, il faut oeuvrer. Mais il faut que ce il faut reste, lui aussi, absolument indéterminé, sans quoi ce serait le principe lui-même qui serait transgressé, et il ne serait plus question d'oeuvre du tout.

D'une oeuvre à venir, on attend qu'elle soit juste - une justice qui n'est pas celle du droit établi, mais d'un événement qui s'impose dans l'urgence, la précipitation. Tel est l'un des paradoxes de l'oeuvre à venir : intemporelle, incalculable, toujours en excès sur le droit en vigueur, elle exige du discours une transformation immédiate.

L'oeuvre à venir promet la promesse. Elle engage plus qu'une survie, une aventure qui vaut plus que la vie.

 

3. Elle agit en débordant toute convention établie, "au-delà du performatif".

A partir du concept d'oeuvre performative, on pourrait (ré)interpréter tout le corpus derridien. On le trouve, à propos de la "mutation monstrueuse" du texte, dans Glas (1974, p74), de Cézanne dans La Vérité en peinture (1978, la préface), de l'athèse freudienne dans Spéculer sur Freud (1980), de la justice qu'on réinvente chaque fois dans Force de loi (1994), de l'injonction archi-performative dans Papier machine (2001), du travail universitaire dans L'Université sans condition (2001), du poème dans Béliers (2004, p61), etc. Dans chacun de ces textes, comme dans chaque oeuvre, c'est "comme si" s'inventait un performatif "tout autre" (chaque fois, un autre performatif), et c'est comme si, chaque fois, ce performatif à venir s'inventait dans un autre idiome.

Il en résulte que le désir d'écrire ou l'aspiration, même confuse et dépourvue d'objet, à une oeuvre à venir est promesse d'un autre lieu (autre que le livre, le tableau, le musée, l'écran, etc.) dans une autre langue qui mettrait en oeuvre tout autrement les notions d'auteur, de signature, de genre, d'adresse, et aussi de cadre, de limite, de parergon, etc. L'oeuvre n'est pas, ou pas seulement, un objet ou une partition, c'est aussi une activité, un travail. L'entendre, la regarder, la traduire, c'est viser en elle, en son instabilité ou son incomplétude, ce qui laisse à désirer (cf Peter Szendy, "Ecoute, une histoire de nos oreilles", p170), et qui n'est jamais donné à l'avance.

 

4. J'en suis responsable.

La différance de l'autre n'a ni statut, ni loi, ni horizon, ni légitimité, et pourtant, en appelant à l'oeuvre à venir, en proclamant que c'est elle qui est ma loi, qu'elle seule est digne d'intérêt, je m'en rends responsable.

Le "Je" de cette formule est multiple. Au premier degré, c'est l'auteur, le signataire, le narrateur. Mais c'est aussi le lecteur, le contre-signataire, le corps étranger dans lequel se joue l'expérience de l'oeuvre. C'est aussi celui qui se présente, aujourd'hui, ici et maintenant, qui dit "Me voici" et qu'on peut citer à son tour (le "Je" de la re-marque), celui dont on peut raconter l'histoire (la récitation), etc. Or tous ces "Je" sont responsables de cette oeuvre à venir qui n'a pas encore eu lieu. Ils ne sont pas co-responsables, ils sont chacun responsable unique, et même à l'infini, pour ce qui les engage.

 

5. Pour répondre d'un avenir ouvert, il faut hériter.

L'ouverture de l'avenir n'est pas un choix, c'est un axiome, un a priori sans lequel la déconstruction n'aurait jamais été inventée. D'un côté, aucune archive, aucun théorème, aucun savoir, aucun horizon, aucun système (pas même celui qui oppose la vie à la mort) ne peut limiter ou délimiter l'oeuvre à venir. On ne la désignera jamais avec certitude. Mais d'un autre côté (second axiome plus vieux que toute religion, plus originaire que tout messianisme, antérieur à toute subjectivité et même à toute pensée), elle ne peut survenir qu'en inscrivant, dans l'avenir, la lecture ou l'interprétation d'un héritage. Elle aura hérité de cette origine qu'elle annonce, et qui est elle-même toujours à-venir. En y renvoyant, elle aura pensé le retard qui la constitue et l'institue comme oeuvre. Pour toute oeuvre à venir, il y a toujours un autre héritage, un héritage de plus, ou la possibilité de citer ou de se lier à un autre héritage, encore un autre.

Œuvrer, c'est projeter vers l'avenir une injonction de mémoire, et c'est aussi mettre à mort l'archonte qui la garde. Si l'oeuvre est à venir, la mise à mort l'est aussi, avec tout ce qu'elle implique : dette et culpabilité. On ne laisse pas venir l'oeuvre sans laisser mourir le père.

 

6. Elle est si étrange, secrète, que nous risquons de la manquer.

Dans un moment de l'histoire où les limites entre public et privé vacillent, où le droit au secret semble délégitimé, c'est son étrangeté qui est à venir, une étrangeté si étrange qu'on risque de ne pas la voir, de passer à côté. La promesse de l'oeuvre à venir réside dans ce poids d'impensé qu'elle garde.

Si elle est à venir, l'oeuvre respecte et ne respecte pas la loi de l'oeuvre. En s'écrivant, elle reste en-dehors, "hors oeuvre" comme il y a un "hors livre". C'est cette extériorité qui préserve son étrangeté, sa dimension toujours à venir.

 

7. Elle protège du mal radical.

Axiome : si les six premiers points sont mis en oeuvre, alors le 7ème l'est aussi. Le temps du repos est aussi celui du retrait, de la conjuration. L'oeuvre à venir est un saut dans l'inconditionnel qui conjure, sans calcul, la pulsion de mort, de cruauté, de souveraineté et de pouvoir.

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Propositions

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[Derrida, la promesse]

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[Derrida, l'à-venir]

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[Le "hors livre" derridien annonce le "livre à venir"]

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[Un principe est indémontrable, irréductible et inconditionnel : on ne peut que l'affirmer, en témoigner par mise en œuvre et profession de foi]

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[L'essence de l'oeuvre n'est jamais donnée à l'avance : entre appropriation et désappropriation, elle est toujours à venir]

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[Toute oeuvre qui produit les conventions, formulations et critères qui la légitiment, est performative "au-delà du performatif"]

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[Ce qui est absolument nouveau aujourd'hui, inouï, c'est qu'il peut toujours arriver un performatif "tout autre", au-delà du performatif]

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En l'absence de langue maternelle, quand le passé est indisponible, surgit le désir d'écrire pour restaurer une langue originaire - comme promesse d'une langue à venir

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Jacques Derrida met en oeuvre tout autrement le concept d'oeuvre, tout comme ceux d'auteur, de signature, de genre, d'adresse, etc.

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Le seul avenir désirable et digne d'intérêt, c'est de laisser se mettre en mouvement la différance de l'autre

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L'expérience de l'oeuvre se joue dans une tension, un aller-retour entre sa lettre et son inscription dans un corps étranger

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L'axiome de la déconstruction, ce à partir de quoi elle s'est toujours mise en mouvement, c'est l'ouverture de l'avenir

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Il n'y a pas de méta-archive; on ne peut éclairer, lire, interpréter un héritage qu'en l'inscrivant irréductiblement dans l'avenir

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Axiome : nul à-venir sans héritage, possibilité de répéter, itérabilité, alliance à soi, confirmation du oui originaire, mémoire et promesse messianique

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La garde de l'archive, qui ordonne la mémoire et anticipe l'à-venir, enjoint aussi de mettre à mort l'archonte et tout ce qui, dans la tradition, porte la loi

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L'archive garde en elle un poids d'impensé qui engage l'histoire du concept, son ouverture à l'avenir, sa promesse messianique

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En excédant le calcul, le programme et les règles, l'appel à la justice ouvre à l'avenir, il commande la transformation et la refondation du droit, y compris par le calcul et la négociation

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Le mot latin pour oeuvre, "opus", désigne à la fois l'activité qui conduit à l'oeuvre et son résultat

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Le "messianique" est doublement indéterminé : (1) aucun savoir, théorie ou épistémé ne le guide (2) comme performatif à venir, il n'entre dans aucun horizon d'attente

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Dans l'Annonciation de Bonfigli, l'événement est - comme chez Derrida - une promesse de langue et de livre, une graphie "à venir", à écrire par l'autre qui hante la scène

 


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