Dans la Métaphysique des Moeurs, Kant insiste sur les formes extérieures de respect, de considération. Même si la politesse ou la bienséance sont trompeuses, même si c'est une sorte de fausse monnaie, elles maintiennent une distance qui contribue au respect de l'autre, du frère. L'impératif de dignité de l'humain se traduit par une responsabilité absolue devant l'autre.

Même dans l'hypothèse d'un ami parfaitement fiable, qui ne trahirait aucun secret [hypothèse improbable, aussi introuvable qu'un cygne noir], une amitié fondée uniquement sur un partage duel ou une réciprocité narcissique serait en permanence exposée au surgissement d'un tiers, d'un autre ami qui viendrait en supplément, en trop. L'amitié véritable ne se limite pas à un couple, elle présuppose l'égalité, l'universalité de la loi. Quelle que soit sa singularité, son hétérogénéité, c'est la loi qui commande de reconnaître l'altérité transcendante de l'autre.

Entre singularité et universalité, privé et public, invisible et manifeste, apolitique et politique, rebelle et citoyen, au coeur de l'amitié, il y a tension. Tous les grands discours philosophiques, de Platon à Cicéron, Montaigne et Kant la situent d'une part du côté de la vertu, la justice, la raison, et d'autre part au-dessus du droit, de la politique et des règles courantes de la justice.

Citation de Kant (Doctrine élémentaire de l'éthique, Deuxième partie, Première section, Chapitre deuxième, Paragraphe 44, Remarque).