L'aveugle est désorienté. Il s'avance, s'expose, prend un risque. Ses mains s'aventurent, à la place de la tête, dans un espace mal délimité. Expérimentant le retrait du pouvoir, du savoir, l'absence d'un centre de commandement, il "oscille dans le vide entre la préhension, l'appréhension, la prière et l'imploration" (p12). Il tente de calculer, comptant avec l'invisible, mais il risque toujours d'échouer. Sa main qui prévient la chute est aussi le lieu de l'accident (p23) ou le lieu qui garde en mémoire l'accident, [ou la possibilité de l'accident].

On peut être aveuglé naturellement, à cause de la vieillesse (Isaac), avec un espoir de guérison - comme Tobit, qui est devenu malade en ensevelissant les morts restés sans sépulture - ou sans espoir, comme Oedipe. Mais dans tous les cas, si la vue est une bénédiction ou un miracle (le Christ guérissant les aveugles), la perte de vue est une malédiction. C'est une figure du mal à laquelle il faut suppléer en recouvrant la vue (Tobit), en étant remplacé par ses fils (Isaac, Jacob) ou en devenant voyant (Tirésias). Si aucune de ces voies réparatrices ne se manifeste, alors c'est le mal radical, la chute sans rémission, comme dans les cas d'Akhiyahou ou d'Eli.