Il est plutôt rare que Derrida parle d'érotisme - même indirectement. C'est pourtant ce qu'il fait deux fois dans ce texte :

- (p306) S'il y a une spécificité des pulsions sexuelles, selon Freud, c'est qu'elles sont sauvages, rebelles, difficilement éducables. Elles ont tendance à ne pas obéir au principe de réalité, et peut-être même pas à la jouissance ni au principe de plaisir auquel elles devraient, par ailleurs, être soumises. Que dire de cette tension si "le sexuel, à moins que ce ne soit le pulsionnel de la pulsion, avant même toute autre détermination, est la force qui résiste à la liaison ou à la stricture ? qui résiste à sa propre conservation, à ce qui d'elle-même la garde, à son propre et au propre même ? à l'économie ?"

- (p429 Mais selon Derrida, contrairement à ce qu'affirme Freud, les pulsions les plus originelles ne sont pas les pulsions sexuelles, mais la pulsion de pouvoir, la pulsion de maîtrise. Indépendamment donc, des pulsions érotiques ou des pulsions de vie (si elles existent), l'érotisation se ferait quand la capacité de lier est insuffisante. La fonction de l'appareil psychique, dit Freud, est de lier les énergies libres, dangereuses, surtout celles qui viennent de l'intérieur. Il y a pour cela une force de stricture, selon le vocabulaire derridien : une puissance qui lie ce qu'il y a à lier. Pour que puisse se manifester cette chose que nous nommons plaisir, il faut que le lien soit instable, qu'il puisse se serrer et se desserrer. Et c'est là qu'intervient l'érotisation. Quand il y a dans un "ensemble" considéré comme tel, en tant que tel, de puissantes forces à lier [ce peut être n'importe quel "être-ensemble" capable de se lier à lui-même (pas seulement un sujet, un corps, une personne)], et quans le "se lier" n'est pas suffisamment fort, puissant, alors il y aurait hédonisme, érotisme.

Image tirée de l'excellent film de Roman Polanski, La Venus à la fourrure (2013).