Derrida
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de Jacques Derrida

Un seul mot - ou un syntagme.

         
   
Lévinas : "Il faut" l'inconditionnel                     Lévinas : "Il faut" l'inconditionnel
Sources (*) : Derrida, Lévinas               Derrida, Lévinas
Jacques Derrida - "Psyché, Inventions de l'autre (tome 1)", Ed : Galilée, 1987, pp199-201, En ce moment même dans cet ouvrage me voici

 

Quantique des Cantiques (Pur Rien, 2012) -

Derrida, retrait, effacement

La sériature derridienne, définie à partir de la pensée de la trace chez Lévinas, renvoie au re-trait ab-solu du nom révélé de Dieu

Derrida, retrait, effacement
   
   
   
Yhvh Yhvh
Derrida, la trace               Derrida, la trace  
Derrida, la Torah                     Derrida, la Torah    

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Jacques Derrida a écrit la première version de En ce moment même dans cet ouvrage me voici en 1980. Analysant l'écriture de Lévinas à partir de la formule "Il aura obligé", il s'interroge sur ce tout autre (le "il") qui nous appelle à la responsabilité pour autrui. Inventé dans l'oeuvre même d'Emmanuel Lévinas (E.L.), en ce moment même, ce tout autre n'est ni présent, ni visible, ni prononçable. Il nous oblige sans ce manifester. Il se retire, et il faut se retirer devant lui, dans une série de ratures (ou de retraits) que Derrida nomme sériatures. La sériature est une mise en abyme, une série d'effacements qui ne laissent qu'une trace, une archi-trace repérable au futur antérieur : elle aura obligé (la trace ou ce tout autre qui se conjugue, pour Derrida, au féminin).

Cette logique de l'effacement renvoie à une conférence qu'Emmanuel Lévinas a prononcée à Rome en 1969, publiée en 1982 dans L'au-delà du verset, Lectures et discours talmudiques, sous le titre Le nom de Dieu d'après quelques textes talmudiques. Quatre fois, Derrida cite la conférence de Lévinas (pages 173, 177-8, 182, 199-200), où celui-ci explique que, dans la tradition talmudique, il n'y a pas de mot pour Dieu : le mot désignant la divinité est "Nom", et de ce nom, déjà, elle se retire.

"Le Tétragramme - le Nom "explicite", Chem Hameforach, a un privilège. Il consiste en cette étrange condition pour un nom de ne devoir jamais être prononcé (..). Le nom Adonaï - qu'à son tour il ne faut pas prononcer en vain - est le nom du Tétragramme. Le nom a un nom! Le nom se montre et se dissimule" (Lévinas, Le nom de Dieu..., in Au-delà du verset p150).

Notons que le titre initial de la conférence de Lévinas était L'analyse du langage théologique - tandis que l'approche retenue par Derrida pour lire Lévinas pourrait se lire : L'analyse du langage de Lévinas. Tout se passe comme si En ce moment même dans cet ouvrage me voici redoublait Le nom de Dieu d'après quelques textes talmudiques. Le nom du nom de Dieu serait, chez Lévinas, porté par le "il" qui contresigne son texte de son propre nom : E.L., tandis que ce nom, chez Derrida, porterait le nom de sériature ou encore d'autres noms, par exemple striction dans Glas.

 

 

Quand il cite Le nom de Dieu d'après quelques textes talmudiques pour la première fois (p173), Derrida signale une répétition qui semble mineure : deux fois, dans les deux derniers paragraphes du texte, à propos de la Relation avec l'Autre absolu, Lévinas écrit : en ce moment même. Pourquoi préciser cela, en ce moment même? Pour dire qu'en ce moment [un moment hétérogène, celui de l'écriture et aussi des différentes lectures], c'est un acte de langage qui a lieu, un performatif - chaque fois un autre acte de langage, un autre performatif. Et puisque l'expression est répétée deux fois, pour dire qu'entre ces deux moments (celui où le langage thématique est souverain, enveloppé dans le Même, puis celui où il est ancillaire, marqué par la déchirure), tout aura changé (Derrida, ibid pp177-8). Il y aura eu deux performatifs : un effet de couture et un effet de coupure. Or ces deux moments de la série sont à la fois distincts et indissociables (stricture). La chaîne n'est pas séparable du hiatus, explique-t-il quand il évoque à nouveau Le nom de Dieu (Derrida, ibid p182).

En citant Le nom de Dieu d'après quelques textes talmudiques une dernière fois (Derrida, ibid pp199-200), Derrida renvoie au contenu de la conférence de Lévinas. Il est question de l'interdit talmudique d'effacer certains noms de Dieu (dont le nombre varie selon les commentateurs). Il ne faut ni les effacer, ni les brûler, mais les mettre en terre, les enterrer (rituel de la gueniza). Cela revient, commente Derrida, à garder les manuscrits qui contiennent ce nom pour en faire son deuil, pour incorporer leur blessure. Selon les talmudistes, les noms qu'il est interdit d'effacer sont ceux qui n'ont rien de substantiel, qui "remontent à l'Inconditionnel" pour employer la formule de Lévinas (Lévinas, Le nom de Dieu..., in Au-delà du verset p150). Dans ces noms-là, "les lettres carrées sont une demeure précaire d'où se retire déjà le Nom révélé", écrit Lévinas (ibid, p149). Ce raisonnement développé dans la suite du texte par Lévinas conduit à une interprétation d'un des noms de Dieu les plus courants : Le Saint, béni soit-Il (HaKaddosh, Baroukh Hou) :

"La formule de la bénédiction, à la deuxième personne jusqu'au Nom, est à la troisième personne dans les mots qui se placent au-delà du Nom. Le Tu devient Il dans le Nom, comme si le Nom appartenait à la fois à la droiture du tutoiement et à l'absolu de la sainteté. Et c'est sans doute cette ambiguité essentielle - ou cette énigme - de la transcendance qui est conservée dans l'expression courante dans le Talmud qui désigne Dieu : "Le Saint béni-soit-il".

Avec le passage du "tu" (Buber) au "il" (Lévinas) c'est la sériature de Derrida qui s'engage. A la fin de la bénédiction telle qu'elle est interprétée par Lévinas, le "il" n'a plus aucune substance, ce qui est exactement le moment visé par Derrida.

 


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