Lévinas ne se tourne pas vers Dieu à la façon de Descartes. Il ne cherche ni un savoir sur l'idée de l'infini, ni une preuve de l'existence de Dieu, mais une relation : un dire à Dieu, un "à-Dieu". S'il se tourne vers Dieu, s'il s'adresse à lui, s'il s'ouvre vers l'infini, ce n'est pas en tant que conscience de soi, c'est pour répondre de cette démesure. Ce n'est pas une question d'identité, c'est une question de désir, d'un désir auquel il aura été voué avant le présent, avant l'être. Le désir de saluer Dieu (désir de prière, de résider en Dieu) est plus archaïque que le cogito. Jacques Derrida l'associe à l'amour de l'étranger et au nom de Jérusalem. Il y a dans l'à-Dieu un désir de Jérusalem associé à la politique et à l'éthique de l'hospitalité. Ce désir est dissymétrique, non réciproque. De même que, pour Lévinas, j'ai à répondre d'autrui sans m'occuper de la responsabilité d'autrui à mon égard, je me réfère "à-Dieu" sans me soucier de son existence, ni de ce qu'il me donne ou pardonne. Je ne suis pas certain de la sollicitude de Dieu, il peut m'abandonner, il peut ne pas m'élire. S'il n'y a pas de foi sans incertitude, l'hospitalité, qui n'est pas seulement un principe mais une loi de justice, peut se passer de l'appui effectif de Dieu.

Un tel abandon serait, d'une certaine façon, un adieu de Dieu.