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de Jacques Derrida

Un seul mot - ou un syntagme.

         
   
Orlœuvre, le nom donné à ce qu'il aura fallu faire                     Orlœuvre, le nom donné à ce qu'il aura fallu faire
Sources (*) : Derrida, Blanchot               Derrida, Blanchot
Jacques Derrida - "Parages", Ed : Galilée, 2003, p81

 

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Derrida, théologie négative

Blanchot ne cède pas à la théologie négative : il répond au rien par une parole adressée à l'inconnu, un "projet d'écrire"

Derrida, théologie négative
   
   
   
               
                       

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Dans Celui qui ne m'accompagnait pas, Blanchot évoque au passé ce qu'il appelle son projet d'écrire :

"Peut-être l'idée que je dois les sauver de ce manque d'intimité appartient-elle aussi au projet d'écrire, idée que j'ai pu avoir autrefois, à laquelle, sans doute inutilement, j'ai sacrifié mon droit à appeler autrui et à lui dire toi. Mais ce n'est qu'une idée d'autrefois..." (Maurice Blanchot, Celui qui ne m'accompagnait pas, p136).

Il y a donc eu, autrefois, un projet qui n'était pas d'écriture, mais d'écrire. Que signifie autrefois? Est-ce un passé révolu? Définitivement passé? Ou un passé qui passe encore, qui continue à passer? Etant donné que Blanchot continue à écrire, dans le temps où il signe ce texte, c'est qu'alors ce passé n'est pas encore passé. Pour que nous le lisions, il aura fallu qu'il écrive. Lisons donc l'interprétation qu'en propose Derrida, qui cite ce fragment de texte avec insistance - car la question du projet d'écrire le touche lui aussi, intimement.

"Autrefois ne renvoie pas à une date, au passé d'un événement, plutôt à la structure du rapport à elle, la parole, à elles. Le moment..." (Derrida Pas, dans Parages, p79). Ce moment n'est pas un moment dans le temps, c'est un moment prophétique dans l'absence de temps (p78), dit Derrida. Prophétique pourquoi?

Blanchot s'adresse à "Elles", qui ne sont pas (selon Derrida) des interlocutrices, des femmes, mais un lieu appelé, un lieu sans nom, le lieu d'une parole secrète qui ne parle pas, d'une pensée silencieuse d'avant la parole, un lieu privé d'intimité dit Blanchot, un lieu de détresse, de joie et de rire, le lieu lointain d'un commandement mystérieux, d'une affirmation toute puissante, si proche qu'il faut dire au présent, par rapport à Elles, "je pense qu'il me faut écrire", en ce moment même. Et s'adressant à Elles, ce mot (écrire) devient tout autre (Blanchot, Celui qui ne m'accompagnait pas). La prophétie est là, dans la promesse toute autre du projet d'écrire dont Blanchot dit qu'il aurait pu contribuer à les sauver (elles). Quel salut? Et qu'est-ce qui est ici à préserver, indemne et sauf? Il faut pour répondre élargir la portée de la citation de Blanchot, la décomposer, en faire un questionnement plus large sur la pensée et l'écriture. Dans ce texte de fiction, ce sont les catégories mêmes dans lesquelles nous sommes amenés à penser l'écriture qui sont débordées.

"Aussi, quand il dit "J'ai sacrifié / pour sauver les paroles par mon projet d'écrire tel qu'autrefois..., etc., / mon droit à appeler autrui et à lui dire toi", on serait enclin à penser que la parole est autrui, à la condition de penser autrement et la parole et autrui, et le double depuis le viens au-delà de toutes les catégories philosophiques ou psychanalytiques" (Derrida, Pas, dans Parages, p82).

S'il faut écrire, ce n'est pas par choix, c'est parce que "elles" l'exigent - sans loi, sans autorité et sans pourquoi. Dire "Elles" comme le dit Blanchot, s'adresser à "Elles", cela implique une transformation de ce à quoi le mot "elles" renvoie, une mutation du tutoiement et du rapport à autrui. [Elles, dira Derrida plus tard à propos de Lévinas, c'est EL, le Dieu absent, l'absence de dieu].

 

 

Derrida invoque, pour analyser cette question du "projet d'écrire", la théologie négative (p81). Blanchot ne cède pas à la théologie négative; mais c'est quand même cette question-là, de la théologie négative, qui est posée par son désir d'écrire, un désir que rien ne peut satisfaire, pas même l'écriture elle-même. Ecrire, c'est dire éternellement Viens. Une affirmation toute-puissante dit Blanchot, un commandement mystérieux le conduit à répondre à cela, qui vient du lointain, qu'il nomme Elles. Elles, ce ne sont pas des personnes, ce sont des pensées, des paroles anonymes, non dites, non prononcées, qui engagent dans le mouvement d'un pas. Ce sont elles qui parlent (sans parler) de ce projet d'écriture. S'il dit "Je pense qu'il me faut écrire", c'est pour répondre à leur violence impudique (dissimulée), leur déchaînement insoutenable qui dérange l'ordre du temps et ne s'exhibe qu'avec la plus grande discrétion, et seulement dans un éclat de rire. Bref, on ne peut pas parler de cela, qui est en elle, on ne peut que garder les vieux noms (la parole, la pensée) [comme dans la théologie négative], on résiste à cette obscénite, mais il faut écrire. Ecrire rend compte de la paralyse et du cri (c'est ce que Derrida appelle, depuis Glas, la logique de double bande qui est aussi un double bind). D'un côté l'angoisse, la nécessité d'arrêter, la dénégation; et d'un autre côté le danger du Viens. Qui sait à qui et à quoi ce viens est dit? Où mène l'hospitalité? Vers quel pas au-delà cela nous conduit-il? Il faut chercher à se protéger (apotropaïque), mais il faut aussi suspendre cette protection.

Avec le projet d'écrire, c'est la question du salut qui est posée. Que ou qui faut-il sauver, garder sauf? Il faut, dit Blanchot, les sauver, elles, d'un manque d'intimité, ce qui pose la question du tutoiement. Tutoyer quelqu'un, c'est lui dire Viens. Il s'agit de les sauver "du dehors auxquelles elles sont vouées" (Derrida, p79), non pas sauver l'abri rassurant du dedans (la maîtrise) - ne serait-ce que parce que le dedans peut être aussi terrible que le dehors, mais sauver "l'inconnu qui se nie dans le sans-nom" (p81). Sauver l'inconnu, voilà qui nous reconduit, encore une fois, à la théologie négative. Ce qu'il faut sauver n'est ni figuré, ni énoncé nulle part. C'est dans un trou (une crypte). Ce qui serait théologique, et même pervers, ce serait de glorifier cela. Blanchot parle d'autre chose, il parle de tutoiement. On pourrait, semble commenter Derrida, distinguer entre deux types de tutoiement. Celui qui s'adresse à autrui (le prochain de la vie courante), et celui qui, pensant autrement et la parole et autrui, "dit toi" par confiance et loyauté, mais sans loi. S'il y a encore un projet d'écrire, ce serait un viens qui dit toi à cet inconnu radical, absolu, qu'est l'autre.

 


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