1. Un principe.

Qu'est-ce qui pourrait nous arriver de pire? On pourrait partir de cette question pour présenter l'œuvre et la pensée de Jacques Derrida. Et la toute première réponse qui viendrait à l'esprit, ce serait de dire : l'annulation de l'avenir. L'annulation de l'avenir, ce n'est pas seulement la mort ou la disparition pour soi et pour ses proches. C'est l'annihilation de l'avenir en général, de tout ce qui tend vers autre chose : une promesse, une transmission, un héritage, un vœu, etc. Avant même la violence, la cruauté, la répétition du même, cette annulation serait la toute première définition de ce qui peut nous arriver de pire. Elle ne met pas seulement en jeu l'avenir comme tel, mais tout ce qui peut survenir d'inattendu ou de nouveau, tout événement. Pourquoi faudrait-il se défier du mal radical ainsi défini? Il n'y a pas de raison ni d'explication. Pour justifier cela, on entre dans l'univers des principes. Nous vivons dans l'entre-deux entre la possibilité du mal radical et l'impossibilité de son éradication. Utiliser la locution "Il faut" dans "Il faut laisser l'avenir ouvert", c'est acquiescer à un principe inconditionnel, c'est-à-dire un principe qui s'impose sans calcul, sur simple déclaration, à la seule condition que ceux auxquels il s'adresse y répondent.

2. Responsabilité.

On ne peut pas garantir l'ouverture du l'avenir. Elle vient d'ailleurs, comme un mystère terrifiant, fascinant (le mysterium tremendum des chrétiens). Chaque décision la remet en jeu comme un nouvel engagement, un autre acte de foi, chaque décision porte la menace ou le risque qu'elle échoue.

3. Œuvres.

Je peux maintenant ajouter une seconde déclaration à celle que je viens de faire : J'entends par œuvre digne de ce nom une œuvre qui laisse l'avenir ouvert. Je ne dis pas qu'elle ouvre l'avenir, activement, car si elle l'ouvrait, elle l'anticiperait, et une anticipation est aussi une fermeture. Je dis qu'elle laisse l'avenir ouvert. Elle ne répond à aucune demande préalable, n'obéit à aucun impératif. Même son archive, qui appartient à un autre temps, ne peut pas être constituée à l'avance. Cela ne conduit à aucune description précise. Il est impossible de savoir à l'avance si une œuvre est digne de ce nom. Les critères qui permettraient de la juger étant eux aussi à venir, l'œuvre est suspendue à une possibilité, elle fait "comme si" ces critères qu'elle ignore allaient advenir. Pour que le programme déterminé par une œuvre ne soit pas une clôture, il faut une rencontre, un ajointement inouï avec une pensée qui n'a pas encore de nom.

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Propositions

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