La formule évangélique, "Ton père, qui te voit dans le secret, te le rendra" instaure une économie dans laquelle les actes de ce monde sont récompensés dans l'autre monde. Ce que tu as accompli sur terre, Dieu te le rendra dans les cieux. Ce que tu sacrifies aujourd'hui, tu le récupéreras plus tard. Dans cette logique qui fait crédit à Dieu, une marchandise infinie est promise par le Père en échange du sacrifice du Fils (Isaac, Ismaël, Jésus - voire chacun d'entre nous). C'est cette promesse infinie qui peut faire croire que l'économie sera excédée, qu'au-delà de cet échange pourront s'instaurer d'autres règles, d'autres pratiques, illimitées. Parmi ces autres pratiques, la littérature. Elle est évangélique, puisqu'elle promet plus (hyperbolique) et aussi hérétique, puisque ce qu'elle promet n'est pas défini. Donnant sans calculer, elle va au-delà de la promesse divine. Mais "la surenchère de spiritualisme évangélique risque à chaque instant de se renverser" écrit Derrida. Il faudrait qu'elle donne sans savoir, sans objet, qu'elle donne l'acte de donner, pour que le calcul chrétien soit débordé. Mais qui sait ce qu'elle donne? Peut-être de la fausse monnaie comme l'explique Baudelaire. En démystifiant ce moment post-chrétien, Baudelaire et Nietzsche posent les limites que la littérature tend à excéder.

Abraham caresse Isaac (titre traditionnel auquel on aura proposé de substituer "Abraham caresse Benjamin") (Rembrandt, 1637, Haarlem).