Derrida
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de Jacques Derrida

Un seul mot - ou un syntagme.

         
   
Derrida, Artaud                     Derrida, Artaud
Sources (*) : Derrida, acquiescement, le "oui"               Derrida, acquiescement, le "oui"
Jacques Derrida - "L'écriture et la différence", Ed : Seuil, 1967, p343

 

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Et tu seras performative, mon oeuvre

Si le théâtre, aujourd'hui, déclare sa fidélité à Antonin Artaud, c'est pour ranimer la nécessité de l'"oeuvre présente de l'affirmation"

Et tu seras performative, mon oeuvre
   
   
   
Derrida, l'art, l'oeuvre Derrida, l'art, l'oeuvre
               
                       

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En 1948, Antonin Artaud déclare que le Théâtre de la cruauté est "une terrible et d'ailleurs inéluctable nécessité". Il ne remplace pas un vide ou une absence, il affirme, "il produit l'affirmation elle-même dans sa rigueur pleine et nécessaire" écrit Derrida (L'écriture et la différence, p341). "Sa nécessité inéluctable opère comme une force permanente. La cruauté est toujours à l'œuvre. Le vide, la place vide et prête pour ce théâtre qui n'a pas encore "commencé à exister", mesure donc seulement la distance étrange qui nous sépare de la nécessité inéluctable, de l'œuvre présente (ou plutôt actuelle, active), de l'affirmation. C'est dans l'ouverture unique de cet écart que la scène de la cruauté dresse pour nous son énigme. Et que nous nous engagerons ici" (p343).

Cette affirmation, qui doit traverser l'existence, la chair, le corps, remonte en-deça de l'origine, "à la veille d'une naissance". Laquelle? Celle de la représentation. A l'origine, l'essence affirmative de la représentation classique lui a été dérobée. Artaud voudrait restaurer cette affirmation, inventer pour cela un théâtre qui n'existe pas (pas encore). Il faudrait réveiller une autre scène toujours à l'œuvre, qui se manifeste avec insistance dans le théâtre d'aujourd'hui sans véritablement remplir ce programme [Derrida écrit en 1966, mais en 2017, on peut encore le dire], comme si cette nécessité restait énigmatique et irreprésentable.

Il est inéluctable et nécessaire d'en finir avec la mimesis, avec l'esthétique aristotélicienne et la métaphysique occidentale de la théologie, de l'art, de la politique ou de la philosophie. Ni Artaud ni ses successeurs n'ont réussi à trouver les formes théâtrales ni les modalités techniques pour répondre à cette annonce. Pourtant l'ébranlement se poursuit, la nécessité s'impose toujours et encore aux nouveaux héritiers.

Le théâtre classique représente l'homme, mais pas la vie - car la vie est irreprésentable. Pour affirmer la vie, il faut détruire ce théâtre et tout ce qui s'y rattache. Il faut chasser de la scène l'auteur, le créateur, et même Dieu. Sans proclamer ni sa mort, ni l'athéisme en général, Artaud tend à produire un espace non théologique où la liberté créatrice et instauratrice du metteur en scène serait rendue (p348).

Ce n'est pas un hasard si Derrida répète quatre fois l'expression nécessité inéluctable dans les deux premiers paragraphes de la page 343. Ce qui, dans le théâtre de la cruauté, est inéluctablement nécessaire, sur quoi Derrida insiste dans le deuxième texte qu'il consacre à Artaud en quelques mois, c'est l'"œuvre présente de l'affirmation". Il ne faut pas représenter, il faut affirmer, dit Artaud, et cela, Derrida le reprend fermement à son compte. Affirmer, c'est œuvrer à la façon, unique, de celui qui se situe avant toute forme d'échange ou de dette.

 

 

L'actrice Andrée Vally, 1913.

Peut-on qualifier de performatif l'appel d'Artaud pour un nouveau théâtre? Il aura suffi qu'il affirme ce théâtre pour que cette affirmation opère comme une force. Il aura suffi de ce coup de théâtre pour qu'un autre espace-temps soit produit, un espacement qui ne soit pas organisé depuis le même lieu invisible. Dans ses mises en scène, Artaud impose une autre rigueur. Il rejette l'improvisation et tient à substituer d'autres gestes, une autre parole (la chair du mot, la sonorité, les cris) au langage articulé. C'est aussi un projet de maîtrise, mais qui ne résumerait aucune parole antérieure, qui auto-présenterait un visible et un sensible purs, sans aucune répétition : un projet dissocié, impossible, fou, auquel nul ne peut rester durablement fidèle, même si, encore aujourd'hui [en 1967 comme en 2017], de nombreux metteurs en scène [de théâtre, de cinéma ou de ce qu'il est convenu d'appeler la performance] continuent à s'en réclamer.

 


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