Derrida
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de l'oeuvre

de Jacques Derrida

Un seul mot - ou un syntagme.

         
   
Folie de la langue sacrée, maternelle                     Folie de la langue sacrée, maternelle
Sources (*) : Derrida, judaïsme, judéités               Derrida, judaïsme, judéités
Jacques Derrida - "Les Yeux de la langue - L'abîme et le volcan", Ed : Galilée, 2012, pp21s, 34

 

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Derrida, la folie

En sécularisant la langue sacrée, les sionistes ont ouvert un abîme sans fond au-dessus duquel ils marchent comme des fous, sans voir le mal sans limite qui pourrait arriver

Derrida, la folie
   
   
   
Derrida, le mal radical Derrida, le mal radical
Derrida, sa Cabale cachée               Derrida, sa Cabale cachée  
                       

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Dans sa lettre adressée à Franz Rosenzweig le 26 décembre 1926, Gershom Scholem exprime son angoisse, son inquiétude. Il a contribué, par son engagement sioniste, à séculariser la langue hébraïque. Installé depuis trois ans en Palestine, il participe à l'adaptation de la vieille langue sacrée aux besoins d'un Etat moderne. Or, affirme-t-il [il estime alors qu'une affirmation suffit, aucune démonstration n'est nécessaire], cette transformation de la langue pourrait conduire à une catastrophe, une apocalypse. La sécularisation de l'hébreu est dangereuse, cette langue pourrait se retourner violemment contre ceux qui la parlent, les noms qui hantent les phrases pourraient se réveiller, la puissance enfouie au fond de la langue pourrait faire cheminer ce peuple au-dessus d'un volcan, ou sur un abîme qui risque de s'ouvrir un jour.

Pour le militant sioniste Scholem, c'est une confession, un aveu consenti à l'antisioniste Rosenzweig. Il reconnaît dans cette renaissance de la langue un mal. Ce mot, mal, est introduit par Derrida, il ne se trouve pas dans la lettre de Scholem. C'est un mal qui ne menace pas les sionistes de l'extérieur, mais de l'intérieur. Prenant acte de l'annonce prophétique de Scholem, Jacques Derrida introduit avec ce mot sa propre lecture de la lettre de Scholem. Quel est donc ce danger?

- il ne s'agit pas de la menace politique que représentent les Arabes, mais d'un danger dont les ressorts résident dans la langue. Dès son origine, le sionisme s'est présenté comme un pouvoir de nomination. Il ne s'agissait pas seulement d'imposer ses mots (ce que tout pouvoir accomplit), mais d'inventer une langue nouvelle. La question linguistique est au coeur de la fondation de l'Etat et de la nation israelienne.

- il fallait, pour créer cette nouvelle langue, en profaner une ancienne. Dès qu'un locuteur de l'hébreu moderne ouvre la bouche, dès qu'il parle, il dégrade sans s'en rendre compte les mots dont il se sert. Alors qu'une langue courante n'est qu'un instrument de communication, un moyen technique, une langue sacrée est faite de noms singuliers qu'on ne peut réduire aux significations du dictionnaire. Transformer ce mystère abyssal (Scholem utilise cinq fois le mot "abîme") en simple problème local, c'est faire souffrir la langue, la brûler (le volcan), la faire chuter dans un précipice. C'est une falsification, un mal [Derrida fait observer que cette contamination technique ou itérabilité touche toute langue; mais c'est justement ce que Scholem ne peut pas accepter]. Pour Scholem, la langue sacrée est la seule qui parle, et il faut la sacrifier à une "mauvaise" langue. Or c'est impossible, car il faudrait pour cela sacrifier la langue elle-même.

 

 

Il ne s'agit pas, dans cette analyse, du mal courant (opposé au bien), mais de quelque chose de pire : le mal radical. En évoquant l'abîme, le volcan, la catastrophe à venir, l'apocalypse, c'est bien le pire qu'annonce Scholem dans sa lettre sur un ton prophétique. Il n'utilise pas le mot mal, mais évoque "nos enfants, qui seraient alors livrés sans espoir à un avenir vide" - l'une des définitions du mal radical. Derrida insiste et développe ce vocabulaire : le pire dans l'imminence de la catastrophe, de l'apocalypse (p15), un mal intérieur, qui n'a rien d'accidentel (p21), un mal total, sans limite (p22), qui se retourne violemment contre ceux qui parlent (p23), un gouffre, un feu (p25), un mal pire et plus inquiétant que tout autre danger (p34), une chute abyssale (p37). Pourquoi ce mal serait-il pire que tous les autres? Le pouvoir de nomination, que la langue sacrée scelle dans un rituel religieux, pourrait se libérer sans contrôle. Ce serait un sacrifice, une mise à mort de l'archonte. En l'absence d'autorité pour garder l'archive, c'est toute la langue qui peut sombrer dans l'an-archie ou l'anarchive, libérant les forces de destruction, la pulsion de mort, l'effroi que Spinoza attribue aux Hébreux devant la parole divine.

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Le paradoxe du discours de Scholem, c'est que, pour proférer cet avertissement, il fallait qu'il parle lui-même la langue sacrée. En effet, même s'il écrit cette lettre en allemand, sa mise en garde contre la catastrophe imminente se fait du point de vue de cette langue. Il oppose au sionisme effectif un autre sionisme, essentiel, un sionisme à venir qui semble parler du fond de l'abîme, sans vouloir en sortir. Préférant vivre en aveugle ensorcelé, à l'intérieur de cette langue, il ne peut annoncer le sacrifice de ceux qui parlent (le sien propre) qu'en mettant l'abyme en abyme. Dans cette surenchère, le mal n'est pas détruit. Pour restaurer l'autre sionisme, pour tenter de se protéger de se vacciner ou de s'immuniser contre le mal en cours, c'est de lui qu'il faut partir.

 


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