Derrida
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de l'oeuvre

de Jacques Derrida

Un seul mot - ou un syntagme.

         
   
Une mutation politique, au - delà de la loi                     Une mutation politique, au - delà de la loi
Sources (*) : Dire obliquement l'au - delà du politique               Dire obliquement l'au - delà du politique
Pierre Delain - "Pour une œuvrance à venir", Ed : Guilgal, 2011-2017, Page créée le 10 octobre 2017 Derrida, le politique

[La mutation politique d'aujourd'hui, c'est que tout se passe "comme si" pouvait toujours survenir une autre instance, plus légitime que la loi en vigueur]

Derrida, le politique
   
   
   
CinéAnalyse : au - delà du pouvoir, du souverain, du politique CinéAnalyse : au - delà du pouvoir, du souverain, du politique
                 
                       

Jacques Derrida revient souvent, en divers lieux, sur la mutation du politique qui intervient "aujourd'hui". En quoi consiste cette mutation, d'où vient-elle, quelle description retenir parmi celles que nous pouvons lire dans ses textes? Je voudrais privilégier un point de vue : celui où l'au-delà du souverain s'articule sur un au-delà du performatif. Reprenons, sous cet angle, certaines des problématiques derridiennes.

 

1. Crise de l'Etat-nation.

Partons du plus visible, dont les médias se font le plus fréquemment l'écho, la crise de l'Etat-nation. La tradition moderne occidentale fait de l'Etat-nation le lieu unique de la souveraineté, le seul où la démocratie puisse être légitime. Ce qui arrive aujourd'hui au Moyen-Orient, en Catalogne ou en Europe, c'est l'éclatement de cette souveraineté. Elle se démultiplie, se diffuse, se fragmente, se dilue, se décompose, se renforce en certains lieux et s'affaiblit en d'autres. D'autres souverainetés la menacent et la concurrencent. Ce phénomène, on ne peut pas l'analyser seulement de manière constative. Partout, ce sont d'autres exceptions, d'autres déclarations partielles de souveraineté qui sont émises, qui érigent ici ou là de nouvelles règles. En informatique, le code fait la loi, en finance, ce sont les algorithmes, tandis que le monde scientifique produit sa propre éthique ou plutôt ses éthiques souvent paradoxales et contradictoires. Aucune intention, aucune volonté, aucune convention ou formulation préétablie ne vient harmoniser cette production de règles et de lois, que le droit des Etats-nations est incapable d'intégrer, ou même de coordonner. Ce phénomène est à la fois quantitatif et qualitatif. Quantitatif car la production de nouvelles allégations affecte tous les domaines de manière diversifiée et complexe; qualitatif car l'acquiescement est rarement formalisé, il s'effectue dans l'acte même de l'utilisation ou de la consommation de tel ou tel service. Au-delà du performatif austinien, il y a toujours plus de production performative.

 

2. Spectralisation médiatique.

Dans son analyse des nouvelles technologies, Jacques Derrida insiste sur l'expérience du lieu. La délocalisation n'est pas seulement géographique ou territoriale, elle n'est pas réductible à une dislocation des frontières. Une nouvelle topologie du virtuel s'instaure et institue, performativement, d'autres entités géopolitiques. Pour décrire ce déplacement de la citoyenneté qui implique un nouvel enracinement du corps, sans précédent, Derrida invente le néologisme topolitique. Ce qu'on nomme couramment retour du religieux doit être analysé à partir de ce déplacement. Dans cette autre topologie, les traditions linguistiques et culturelles sont métamorphosées. On ne reprend pas les dogmes religieux tels quels, on en transforme radicalement la signification, on les réinvente. Ces nouvelles productions ne passent pas par les institutions traditionnelles, mais par les médias. Ne reposant ni sur un corps de doctrine ni sur des archives solides, pouvant être à tout instant contestées par des savants ou des autorités plus anciennes, elles sont imposées par la force. Leur légitimation publique repose sur des dispositifs télévisuels et réticulaires, des techno-virtualisations qui procurent un semblant de vérité ou de temps réel, mais sont, en réalité, montées de toutes pièces, fabriquées selon des procédés sophistiqués hérités du cinéma. Le plus marquant, dans ces procédés, c'est qu'ils se justifient eux-mêmes, ils s'inscrivent eux aussi dans le débordement performatif issu de la crise de l'Etat-nation.

 

3. Mutations du droit international, par-delà la loi et par-delà le politique lui-même.

Ces événements renvoient à une autre rupture, qu'on peut dater de l'émergence, en 1945, de la notion de crime contre l'humanité. L'introduction de cette notion dans le droit international relativise la légitimité des lois nationales. Dans le champ médiatique, par-delà le politique, s'ouvre la possibilité de scènes publiques de condamnation, de repentir et d'aveux. De telles scènes se sont multipliées au croisement du 20ème et du 21ème siècle. C'est l'irruption de ce que Jacques Derrida a nommé, dans son Adieu à Emmanuel Lévinas, une éthique en excès. Il ne s'agit pas seulement de condamner des actes de certaines personnes, de dénoncer des crimes contre l'hospitalité ou d'affirmer la responsabilité des uns ou des autres, il s'agit d'une véritable conversion éthique du concept du politique. Avec cette conversion, le politique sort de lui-même. Il se transforme performativement, sans que, dans l'immédiat, des mots soient encore trouvés pour nommer ce processus.

 

4. Crise de la démocratie, du politique comme tel.

Si, en son principe, le politique est national, territorial, localisé, qu'arrive-t-il quand des distinctions usuelles comme proche / lointain, familier / étranger, particulier / communautaire, etc., ne tiennent plus ensemble, quand la possibilité de la communauté succombe à la déliaison? D'un côté, le concept même du politique se déconstruit, selon la formulation derridienne, mais d'un autre côté, il est impossible d'en faire son deuil, on ne peut que le pleurer. D'un côté, nous restons hantés par ce concept, nous tentons de repenser ce lieu introuvable, mais d'un autre côté, il est devenu impensable, comme une bouche béante, sans voix. Faut-il conserver ce mot ou en trouver un autre? Dans sa propre recherche, Jacques Derrida a privilégié une expression comme démocratie à venir (dans Voyous), ou ce qu'il a appelé une politique de l'amitié, mais cela ne clôt pas le débat. C'est un devoir politique de faire surgir d'autres mots, encore inconnus.

 

5. Après, qui et quoi?

Pour ma part, je ne proposerai pas un néologisme, un mot nouveau, bien au contraire, je proposerai un mot lui aussi ancré dans la tradition classique : l'œuvre. Ce qui caractérise l'œuvre digne de ce nom, selon Derrida, c'est qu'elle produit les conventions, formulations et critères qui la légitiment. Elle est performative au-delà du performatif, comme les différentes mutations du politique que j'ai analysées.

 

 

 

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Propositions

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Le nouveau régime des télécommunications disloque le lien entre Etat, territoire, et nation, ce qui forge un nouveau concept du politique dont il faut repenser le lieu

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Le concept même du politique est en cours de déconstruction

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Vers la fin du 19ème siècle, dans un monde qui ne tient plus ensemble, une mutation livre à la folie, au chaos, les concepts organisateurs de la communauté politique

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Avec la dissolution des concepts classiques d'ennemi, de politique, d'hostilité, s'ouvre une bouche béante, sans voix, qui hurle dans le fond sans fond du chaos d'aujourd'hui

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Les télétechnologies déplacent les lieux et disloquent le "topolitique", ce qui détache la démocratie de la citoyenneté

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La mondialisation de l'aveu - qui exige de répondre chaque fois singulièrement, hors lois, hors normes, hors savoir, annonce l'au-delà du souverain - et même du politique

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