Il y a, en démocratie, une dimension de pouvoir, une volonté de puissance, d'autonomie (le "je peux", l'ipséité, etc.), des normes, des règles et des savoirs qui laissent peu de place à la responsabilité politique, juridique ou éthique; mais il y a aussi, indéniablement, une ouverture nécessaire à la venue de l'autre, à l'hétéronomie, à ce qui peut s'annoncer d'urgence, ici et maintenant, sans être soumis à aucune idée régulatrice, aucun idéal régulateur. On peut tout critiquer publiquement, y compris l'idée de la démocratie; on peut étendre la démocratie au-delà de la souveraineté ou de la citoyenneté, on peut tout mettre en question, y compris l'autorité absolue du droit. Pour préserver cette différance irréductible, non réappropriable, cet héritage, cette promesse de justice inscrite dans le nom même de démocratie, la démocratie doit rester aporétique. Entre l'égalité calculable et la singularité incalculable, entre les frontières de l'Etat-nation et les nouveaux partages, entre la souveraineté du sujets des droits et une autre souveraineté à venir, elle ne tranche pas. "Elle révèle l'auto-immunité de la souveraineté en général" (p128) - c'est-à-dire cette structure où la démocratie doit se mettre souverainement en question pour survivre comme telle.