La souveraineté, quand elle s'exerce, est injustifiable, silencieuse, inavouable. Cette force unique, plus forte que toutes les autres forces, s'impose dans le non-dit et la dénégation. Même si elle multiplie les discours, les théories et les rhétoriques, son essence est inapparente. Son moment propre, exceptionnel, indivisible, la soustrait au temps, au langage, au partage. Comme telle, la décision souveraine n'a ni sens ni épaisseur temporelle. Elle ne prend sens et ne s'inscrit dans une temporalité que quand on cherche à la justifier. Il faut alors la diviser, la conceptualiser, la soumettre à des lois et des règles de fonctionnement qui la retournent contre elle-même, un processus auto-immunitaire sans lequel elle n'aurait ni histoire, ni généalogie.

Mais ces règles ne donnent pas à la souveraineté le temps de s'apaiser. "La souveraineté ne donne ni ne se donne le temps" écrit Derrida (Voyous p154). C'est sa cruauté, "la cruauté même". Il n'y a pas le temps (il s'annule), mais il faut le temps - du verbe faillir qui entraîne aussi le défaut, la défaillance, la faillite. La souveraineté revient à la façon d'un anneau, d'un anniversaire. Elle donne le temps sans le donner, elle revient sans pitié.