Pour éviter une domestication ou une conjuration de la pensée derridienne, pour préserver son "potentiel subversif", il faut éviter à la fois l'académisme (l'autorité d'un grand penseur, son prestige institutionnel, l'accumulation de connaissances sur son œuvre, les débats entre spécialistes sur la meilleure interprétation) et la mode culturelle (à défendre comme un capital sur le marché des nouveautés ou des idéologies). Emmanuel Biset propose la "déconstruction sans déconstruction", ou le "sans" est entendu comme une lutte, une bataille, une guerre. Dans sa dernière interview, Derrida explique qu'il est en guerre contre lui-même. La déconstruction comme pensée à venir peut, sans Derrida, continuer cette guerre. Elle ne répète pas les ruptures déjà faites, ce qui en ferait une totalité autocentrée, elle s'ouvre aux événements et aux théories qui l'excèdent.

- son mode de lecture, c'est qu'elle trouve dans la tradition elle-même les éléments par lesquels elle déborde cette tradition.

- dans sa lecture, elle engage un pari éthico-politique irréductible aux notions de pouvoir, liberté, résistance, mais plutôt du côté de la justice et de la violence.

- elle analyse les processus culturels et institutionnels sans désir de présence, c'est-à-dire sans fixer de frontières stables et hiérarchiques.

- elle combine dans chaque cas plusieurs modes de singularité : une intervention performative, une aventure, une stratégie singulière qui n'est pas définie par le lecteur, mais qui provient du texte même.