Jacques Derrida répond à une série de questions de Rodolphe Gasché, de biais, à sa façon. Gasché parle du corpus empirique de l'œuvre de Nietzsche (la feuille détachée qui sert d'exergue à Ecce homo), de son rapport à l'engendrement ou l'auto-engendrement de l'œuvre; mais pour Derrida cette opposition empirique / non empirique est contestable. La question de l'autobiographie ne se pose pas pour lui dans ces termes, mais dans le paradoxe d'une bordure où l'identité (de l'auteur, du signataire) se disloque. Il y a le Nietzsche de l'exergue, celui d'Ecce homo, celui qui parle, etc. Tout cela fait bordure, cette bordure est traversée de différences de forces qui ne s'épuisent pas, qui nous reviennent. C'est l'éternel retour de Nietzsche. Elles nous reviennent sélectivement, autrement, mais elles reviennent. Avec ce retour arrive une autre affirmation, un autre "oui oui", une autre alliance avec la singularité du signataire. Contestant la position de Heidegger sur le cas de Nietzsche, Derrida remarque qu'on ne peut pas penser cette alliance à partir de l'être, dans la continuité [empirique] des étants, il faut la penser "dans l'énigme dont parle Nietzsche quand il parle de son identité, de sa généalogie, etc" (p65). En d'autres termes, c'est Nietzsche lui-même (son texte) qui interdit cette continuité et oblige à penser son autobiographie en termes de réitération de l'alliance (le retour éternel), et non pas de contenu empirique.

GraviDance (Vladimir Kobrin, 2000).