Derrida revient à plusieurs reprises dans son ultime séminaire (2002-2003) sur les différentes circularités de Heidegger. Il en fait une liste p186 :

- circuit méthodologique. il repère les présuppositions, mais pour les penser, il s'appuie sur les mêmes présuppositions, et cela ne le gêne pas. En tant que nous pensons philosophiquement (dirait Heidegger), nous devons prendre sur nous cette ambiguité inquiétante, dérangeante, propre à la philosophie (Derrida, p276). Précision orale de Derrida : "C'est cette logique de la présupposition qui m'intéresse ici, parce que c'est là que nous allons trouver le cercle" (note p171). Heidegger accrédite la méthode circulaire : "Pour frayer un chemin, il faut partir du cercle et accepter de tourner en rond afin de penser la présupposition même" (cité p172). Cette accréditation autorise Heidegger à avancer des "thèses" sur un mode métaphysique. Toutes les sciences (selon Derrida) procèdent ainsi.

- encerclement de l'animal dans sa Benommenheit. Selon Heidegger l'animal est pris dans son hébétude, son accaparement, il ne peut pas en sortir. Il est encerclé par ses capacités, absorbé en elles (cité par Derrida p281). C'est ce qui le rend "pauvre en monde". La conclusion heideggerienne (l'animal est pauvre en monde) est dans la présupposition (son encerclement).

- le Quadriparti, figure essentielle de Heidegger, opère comme ronde (pp186-7).

Le cercle heideggerien, c'est celui du chez soi, du retour à l'abri de la philosophie, comme il le confirme en citant un vers de Novalis qu'il semble reprendre à son compte : "La philosophie est à proprement parler nostalgie, quelque chose qui pousse à être partout chez soi" (traduction de Derrida p69). Ce chez soi est le monde, celui du comme tel, celui de la capacité à mourir, de l'authenticité de la mort en tant que telle.

Pourtant Heidegger est aussi un penseur de l'errance (p148). La tension entre errance et nostalgie se rencontre chez lui comme ailleurs.