Jacques Derrida s'appuie sur des textes et des récits de Blanchot pour témoigner d'un événement qui ne renvoie pas à la possibilité de l'impossible mais à l'impossibilité pure et simple (voir notes 2 et 3 p258) - un événement fantômatique ou fantasmatique qui aurait des conséquences effectives, réelles, indéniables, à la manière du fantasme freudien de séduction (p263), mais serait lui-même d'un autre ordre. Quelques jours après l'incinération de Blanchot, peu de temps avant sa propre mort où son cadavre sera inhumé (et non pas incinéré), Derrida fait à son ami ce cadeau post-mortem (posthume) : en le lisant, l'interprétant, l'actualisant ici et maintenant, il le fait revenir comme spectre vivant. Tel est l'enjeu de son initiative, de la discussion du "Pas au-delà" (titre d'un livre de Blanchot), de la scène terrible dont il se veut le médiateur, avant que d'autres médiateurs ne s'emparent de son œuvre à lui. De quoi s'agit-il ? Que vise-t-il à travers les thèmes du séminaire dont il fait la liste [la souveraineté, l'animal, le mort vivant, l'enterré vif, le spectral, le posthume, le rêve, la fiction littéraire, le fantasme, la pulsion] ? Il le dit. Une chose sans chose qui ne serait pas une logique à proprement parler, mais une dernière extrêmité, une eschato-logique (eschaton = destinée finale du monde, fin de toute chose) qui résisterait au logos, l'excéderait et viendrait après lui, le dernier mot du dernier homme [comme disait Nietzsche].

Mortem (Eric Atlan, 2010).

"La logique du fantasme résiste, défie et disloque le logos et la logique dans toutes ses traductions et toutes ses figures, qu'il s'agisse du logos comme raison et comme logique de la non-contradiction et du tiers exclu, du oui ou non, du oui et du non, du ou bien/ou bien décidables, qu'il s'agisse du logos comme parole ou qu'il s'agisse du logos comme recueil et puissance de rassemblement. Il n'y a donc pas de logique du fantasme, à proprement parler" [ce qui pourrait être une sorte de réponse au séminaire XIV de Lacan, 1966-67, La logique du fantasme]. Le fantasme mourir vivant, ce logos posthume littéralement fantasmatique, au sens où Derrida l'entend (à la suite de Blanchot), est le lieu d'une venue, d'une survenue, et aussi d'un refoulement à peine pensable, d'une origine ou d'une ressource où des distinctions comme humain / animal ou mort / vie n'ont pas de sens. Il fait penser à Khôra, avec cette différence qu'on ne peut pas dire que la scène ait déjà eu lieu - elle s'affirme comme jubilation, fête de l'avenir, apocalypse (p266), événement politique et métamorphique d'un Je suis mort indifférent à la différence ontico-ontologique (p270). Avec lui se pensent le logos, les fantômes et les revenants au-delà du logos.