Au départ, Yehoudi n'est que le nom d'une tribu, la tribu de Juda, sur le territoire de la Judée. Le mot ne commence à désigner les Juifs en général que dans le livre d'Esther, qui est celui où apparaît un descendant d'Amaleq, Haman. Dans ce livre, bien que Mardochée soit un descendant de Kich, qui lui-même descend du roi Saul, de la tribu de Benjamin, il est nommé "Yehoudi". Haman, qui voudrait exterminer tous les "Yehoudis", est un descendant d'Agag, souverain du peuple des Amalécites et ennemi intime du roi Saul. Amaleq s'en est pris au peuple d'Israel juste après la sortie des Juifs. Dans le désert, il s'est jeté sur les plus faibles, les plus vulnérables. "Tu effaceras la mémoire d'Amaleq de dessous le ciel : ne l'oublie point" dit le Deutéronome (25:17-19).

D'où vient Amaleq? Selon la généalogie biblique, il est le petit-fils d'Esaü, frère jumeau de Jacob. Esaü donne naissance à un fils nommé Elifaz, qui va prendre pour concubine Timna, "qui lui enfanta Amaleq" (Gn 36:12). Le texte précise que Timna n'est pas une femme légitime, mais une concubine. Mais dans un autre passage biblique (Chroniques I, 1:46), il est dit que Timna est la sœur d'Amaleq. Si Timna est à la fois fille et sœur d'Elifaz, alors Amaleq est le fruit d'une relation incestueuse. Cette faute morale et sexuelle serait à l'origine de l'altération de cette famille et de sa haine anti-juive renouvelée à chaque génération. Les Juifs, qui incarnent la loi, seraient haïs par ceux qui sont issus d'une transgression.

Mais pour les rabbins, rien n'est jamais aussi simple. Selon une autre légende (Talmud de Babylone, Sanhedrin 99b), Timna était une jeune princesse de la région de Seir. Se sentant proche des Hébreux, elle aurait cherché à se convertir, mais le Tribunal rabbinique l'aurait récusée. Elle ne serait devenue la concubine d'Elifaz que pour se venger de ce refus. Même si cette histoire est complètement anachronique (puisque la religion juive n'existait pas encore à cette époque, et la conversion non plus), elle est significative : les Juifs ont eux aussi leur part de responsabilité dans l'émergende d'Amaleq. "Jamais nous n'aurions dû rejeter Timna", disent les rabbins. L'antisémitisme est moins une histoire de transgression qu'une histoire de jalousie, d'envie et de refoulement. La haine du Juif est celle de celui qui se sent humilé, exclu de l'appartenance.

Amaleq signifie en hébreu "celui est est privé de peuple", et Timna "la rejetée, l'empêchée". L'antisémite croit que le Juif est ce qui l'empêche d'être ce qu'il aurait pu être. Son monde est assoiffé de finitude et de complétude. Il se croit toujours l'héritier de souffrances passées. Hanté par ces souffrances, il croit qu'elles lui donnent des droits.