Derrida
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TABLE des MATIERES :

                            NIVEAUX DE SENS :

                     
                     
Accusations paradoxales de la haine anti - juive                     Accusations paradoxales de la haine anti - juive
Sources (*) : Le judaïsme, indéfinissable               Le judaïsme, indéfinissable
Delphine Horvilleur - "Réflexions sur la question antisémite", Ed : Grasset, 2019, p68

 

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[L'antisémitisme repose sur une série d'accusations paradoxales : en-plus et en-moins, en-trop et pas-assez (de plénitude, de faille, d'identité, de limite, d'avoir, etc...)]

   
   
   
                 
                       

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1. Un lieu paradoxal.

Au cours de l'histoire, on a toujours accusé le Juif d'une chose et aussi de son contraire. Soit il est trop riche, soit il vit aux crochets de la nation. Soit il est trop révolutionnaire, soit il est trop bourgeois (p16). Il ne croit pas en Jésus, mais Jésus est Juif. Il se mêle à la nation, y occupe des positions, mais il cultive l'entre-soi. On peut le reconnaître entre tous, mais il se déguise en n'importe qui. Il est très loin de nous, mais il est aussi tout près. Il refuse toute appartenance, mais il est l'exemple même d'une appartenance qui survit à tous les exils et à toutes les persécutions, ce qui engendre la jalousie, l'envie. Il menace les frontières (territoriales, nationales, familiales, etc.), mais il affirme sa judéité, voire son communautarisme. N'entrant dans aucun ensemble sauf le sien propre, il fragilise, il fait trou, ulcération (p68).

Cette ambiguité a des racines profondes, y compris à l'intérieur de la tradition juive. Dans le ventre de Rebecca, femme du patriarche Isaac, Jacob et Esaü se disputent. Le premier inaugurera la lignée d'Israël, et le second est le grand'père d'Amaleq, figure symbolique de l'antisémitisme et, pour les Juifs, du mal radical.

 

2. Une menace pour l'unité.

Le judaïsme en tant qu'identité religieuse est indissociable de l'antisémitisme. Dans le Livre d'Esther, Mardochée, qui descend de la tribu de Benjamin et non pas de celle de Juda, est cependant appelé Yehoudi. Ce mot désigne pour la première fois une identité collective. Le nom du premier Juif de l'histoire est lié à l'exil. En même temps apparaît Haman, son ennemi, ce descendant d'Amaleq qui perçoit les Juifs comme un peuple dispersé, qui observe des lois différentes de celles des peuples tout en refusant de se mélanger. Dès cette époque (vers 475 avant J-C, mais le Livre a été écrit au moins un siècle plus tard), les Juifs sont perçus comme une menace pour l'intégrité de la Nation. Ils mettent en danger la puissance politique. Il n'y a qu'une seule solution pour s'en débarrasser : l'élimination physique.

L'antisémite est assoiffé de finitude et de complétude, tandis que la figure du Juif (Jacob) incarne le devenir, l'inabouti, le monde du "peut-être" (p48). Les Hébreux ont reçu la Révélation en un lieu illocalisable (le Sinaï). Ils la gardent pour eux, ne veulent pas la partager en prétendant ne pas la connaître. Paradoxalement, ce Juif inachevé, dont la doctrine dit tout ou rien, qui prétend être à la fois plus ancien et plus porteur d'avenir, est toujours plus que lui. "Comment supporter qu'il soit à la fois celui qui le précède et l'excède? C'en est trop..." lui fait dire Delphine Horvilleur (p49).

L'antisémite hait tout ce qui incarne la perte, la séparation, tout ce qui menace sa complétude. Dans cette haine sont étroitement associés le Juif, la femme et toutes les modalités de vulnérabilité, de brisure, de cassure, de manque ou de doute qui, justement, fondent l'identité juive. Or le Juif est celui qui s'arrache à soi, qui affirme qu'on ne peut pas réunir le tout de l'humain, que "tout reste à dire". Il est l'exception qui confirme l'impossibilité du tout, la figure d'un manque qui, en acceptant de ne pas être comblé, devient indestructible. Pour restaurer l'unité (même si celle-ci n'a jamais existé), il faut s'en débarrasser (p108).

 

3. Une menace pour l'identité.

L'antisémite à travers les siècles est toujours un intégriste de l'identité. Il croit que le Juif parasite les frontières, qu'il crée de l'hybride et du mélange. "Tous les antisémites de l'histoire se servent de l'image du Juif comme source de contamination pour l'organisme qui l'accueille, dont il menace l'intégrité par sa présence" (p67). "On l'accuse de rompre la continuité du corps social et de parasiter le terrain-hôte". Le Juif est responsable de la faille, il pollue et vulnérabilise. Il fait entrer les germes pathogènes, crée la porosité des membranes et des mondes, empêche la limite claire (p68). L'anti-juif croit que pour garantir sa propre vie, il doit se couper de l'agent ulcérant. Mais la difficulté, c'est que cet agent est difficile à contenir, à attraper. "Il est impalpable, invisible et identifiable au mouvement qu'il suscite" (p71). Le Juif qui incarne l'impossible expansion uniforme (p73) est un obstacle à la maîtrise du monde, à sa totalisation. Il est d'autant plus dangereux qu'il n'est pas seulement extérieur, mais aussi intérieur à l'Empire, dont il détruit l'homogénéité. Il en résulte cette situation historique étrange : tout empereur est capable d'être pour les Juifs une puissance protectrice ou au contraire une menace d'anéantissement (p82). Certains sont passés de l'un à l'autre.

 

4. En-plus, en-trop, en excès.

D'un côté, le Juif semble confisquer au reste de l'humanité quelque chose qui ne lui appartient pas (p109). L'antisémite lui reproche de posséder ce à quoi il aspire. Mais d'un autre côté, on l'accuse d'être moins qu'un homme : pas assez viril, pas assez de plénitude. Il incarne à la fois l'identité infaillible et la faille absolue, le vide. L'antisémite lui reproche de vivre (trop) bien en se passant de ce dont il est privé, il lui reproche de trop facilement vivre avec cette faille. "Haïr les juifs, c'est d'abord haïr sa propre faille identitaire" écrit Daniel Sibony.

Les Juifs ne sont pas comme les autres. Étranges, extérieurs, ils n'appartiennent pas au même peuple, au même genre. L'antisémite dit du Juif qu'il n'est "pas comme moi", mais tandis qu'en général le raciste hait l'autre pour ce qu'il n'a pas (il est inabouti, inférieur), la haine du Juif porte sur ce qu'il a ou est supposé avoir : le pouvoir, l'argent, les privilèges, les honneurs (p13), l'étude, l'élection. Il en a trop, "moins que moi", il est arrogant, il s'approprie ou empoisonne le bien commun. Tout en lui est excessif : sa visibilité, sa souffrance, sa durabilité. Il est propriétaire d'un supplément dont il me prive (p14). Il se pose comme victime, mais prétend toujours en avoir plus que les autres. Il est le rappel de ce que l'antisémite aurait pu être, et qu'il n'est pas (p40).

 

 

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Propositions

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Les héros juifs sont tous atteints d'une forme de féminisation, handicap, impuissance ou fragilité; pour l'antisémite, le Juif et la femme incarnent tous deux le manque

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Le rituel de la circoncision fonde l'identité juive sur la faille, la cassure, par inscription symbolique du féminin dans le corps du nouveau-né mâle

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La Torah fut révélée en un moment appelé hitgalout (exil), en un lieu (le Sinaï) que nul ne sait placer sur une carte, et à un peuple en devenir dont nul ne sait ce qu'il a entendu

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Au Sinaï, les Hébreux n'ont peut-être entendu que la première lettre de la révélation, Aleph, ou peut-être encore moins, un silence, le son inarticulé de la voix

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[Le peuple élu (Am Segoula) est ce peuple-médicament auquel il a été révélé que tout n'a pas été dit]

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Juif est le nom de l'arrachement à soi, de l'impossible totalité, de l'exception qui affirme qu'on ne peut pas réunir le tout de l'humain, que "tout reste à dire"

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Les frères ennemis Jacob et Esaü naissent ensemble, de la même matrice; mais Jacob est un inabouti, tandis que Esaü nait déjà pubère, couvert de poils

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ll est possible qu'Amaleq ait été issu d'un inceste (Timna, sa mère, était à la fois fille et soeur de son père); mais quand elle a sollicité la conversion, il n'aurait pas fallu la rejeter

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Pour mettre fin au judaïsme sacrificiel, il aura fallu que Yohanan Ben Zachaï sorte de Jérusalem dans un cercueil, porté par ses élèves, et fonde un lieu d'étude (Yavné)

 


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