Derrida
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TABLE des MATIERES :

                            NIVEAUX DE SENS :

                     
                     
Sur l'"otobiographie", néologisme derridien                     Sur l'"otobiographie", néologisme derridien
Sources (*) : "La vie la mort" : graphies d'alliance               "La vie la mort" : graphies d'alliance
Pierre Delain - "Après...", Ed : Guilgal, 2017, Page créée le 21 sept 2019

 

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Derrida, la vie, la survie

[Par l'oreille d'un autre, une alliance supplémentaire avec la vie peut se nouer : otobiographie]

Derrida, la vie, la survie
   
   
   
Orlolivre : conjuguer vie et mort, sans les opposer Orlolivre : conjuguer vie et mort, sans les opposer
                 
                       

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1. Présentation.

Jacques Derrida a inventé le néologisme otobiographie entre 1976 et 1979. Ce mot ne figure pas dans le texte publié du séminaire 1975-76 La vie la mort, mais on peut le lire dans une autre version du texte de ce séminaire lue en octobre 1979 à l'université de Montréal. En 1982, il est devenu le titre d'un livre sur Nietzsche qui contient aussi la conférence prononcée par Derrida en juillet 1976 à Charlottesville (Virginie) sur le bicentenaire de la Déclaration d'indépendance des Etats-Unis d'Amérique (une invention qui arrive en retard, en supplément du séminaire, à l'occasion de l'anniversaire d'un événement historique qui, aujourd'hui, produit encore des effets). Comme tout titre, ce mot nouveau est un commandement, une injonction : il invite à un pas au-delà de l'auto-bio-graphie et de l'auto-thanato-graphie. Le mot fait le lien entre d'une part la structure testamentaire du texte, cette trace morte nécessairement séparée du porteur de la parole, et d'autre part le fait que le texte, pour exister comme texte, doit engager l'entendre-parler d'un vivant singulier, unique. Si le vivant n'est pas le parleur d'aujourd'hui, mais une signature intempestive, à venir, alors on peut aller au-delà du lien ombilical qui se noue dans l'enseignement académique, entre la bouche (vivante) du père (mort) et l'oreille de l'entendeur. C'est ainsi que Nietzsche promet une autre oreille dont on ne peut rien savoir, un surhomme qui détruirait la construction phallique-orale perpétuée par la tradition.

 

2. Alliance otobiographique et contrat de signature.

Cette rencontre transforme la relation entre vie et mort. Une autre alliance s'instaure entre les deux partis hétérogènes, vie et mort. L'otobiographie, c'est accepter qu'en général sa signature ne soit effective que pour des morts jusqu'à ce qu'une oreille tardive, posthume, inconnue du signataire, lui offre une survie. Avec retard, l'oreille de cet autre vivant (une oreille plus sensible, fine, réceptive, etc.) entend "ma" signature, c'est elle qui fait que le contrat que j'avais signé avec moi-même ait lieu. Dans l'autobiographie, il y a alliance d'un vivant et d'un "je" (déjà mort), tandis que dans l'otobiographie, il y a alliance d'un "je" (vivant ou mort) avec un autre vivant qui transforme le statut même du "je".

On peut comparer la bordure du texte qui s'instaure alors à celle de l'exergue à Ecce homo écrit sur feuille volante par Nietzsche avant de sombrer dans la folie. Il y déclare qu'il enterre sa 44ème année, une façon d'acquiescer à la mort de l'auteur, mais il y affirme aussi l'espoir d'être véritablement lu et entendu un jour. Par cette bordure déliée, il en appelle à une autre oreille, dans la résonance du texte, qui par son écoute ferait de ce don un don de la vie. Jacques Derrida désire entendre cet appel. S'il écrit, ce n'est pas pour les oreilles d'aujourd'hui, mais pour d'autres oreilles qu'il ne voit pas, n'entend pas, qui ne lui reviennent pas. La série de néologismes qui viennent s'ajouter au mot traditionnel, autobiographie, traduit le rapport qu'il entretient entre un "je" qui écrit et qui parle (le moi vivant) et la multiplicité des écoutes à venir.

Dans le cas du livre Robinson Crusoé, signé Daniel Defoe, un fantasme est à l'œuvre : Mourir vivant. C'est la terreur ou l'angoisse de Robinson (être dévoré par des cannibales, emporté par un tremblement de terre, etc.), et c'est aussi ce que réalise effectivement le livre qui aura été lu par des millions de lecteurs. Le livre est écrit, fini, achevé, il est mort, et en même temps les lecteurs le maintiennent en vie. C'est sa puissance, sa toute-puissance.

 

3. L'autre qui entend.

Dans le cas de la déclaration d'indépendance des Etats-Unis, cet autre "je", qui n'existait pas encore à ce moment-là (ou seulement virtuellement) est un peuple. La déclaration prend vie si le peuple y croit. Dans le cas de Nietzsche, dont toute l'œuvre est un immense paraphe biographique, c'est un lecteur qui inversera ou transformera les valeurs, comme il aurait tellement désiré le faire.

Dans le cas de Derrida, comme il le dit dans Eperons, l'autre qui pourrait l'entendre, ce serait préférentiellement une femme. Etant donné que ce qui est transmis n'existe pas encore au moment de l'écriture, la transmission ne transmet rien, c'est une transmission sans transmission. Comme les autres alliances, celle-ci est dissymétrique puisqu'elle juxtapose vivant et mort, "la vie la mort", le masculin et le féminin. Dans le texte final d'Otobiographies, à la place de la formule habituelle "la vie la mort," on peut lire (p69) "la vie le mort", où le second article est passé au masculin. Cette modification introduite par Derrida dans un second temps fait du mort un père qui n'est pas un père mort portant la vérité, mais un père déjà disparu, comme celui de Nietzsche, qui laisse un fils orphelin.

Si une autre oreille, vivante et singulière, y est engagée, le contrat autobiographique peut être réitéré comme contrat otobiographique, alliance où le "je" est suspendu à la contre-signature d'un autre qui lui confirmera (ou non) sa "propre" identité. Ce moment implique un jeu de désir, de plaisir. Au début du chapitre II du texte publié dans Otobiographies, Logique de la vivante, Derrida évoque cette réitération sous l'angle du plaisir. La confirmation de l'alliance peut prendre la forme du plaisir pris à entendre l'autre. Pour épargner l'ennui de l'auditeur, pour lui faire plaisir, Derrida déclare qu'il doit s'épargner l'ennui à lui aussi. Le plaisir vivant de la réitération de l'alliance (rapport de l'oreille à la bouche) est suspendu au plaisir qu'il y aura eu dans l'alliance première (rapport de la bouche à l'oreille). Citation : "(...) la démonstration auto-biographique à laquelle je voudrais prendre un certain plaisir, comme si je souhaitais que vous appreniez ce plaisir de moi" (Otobiographies, p38). Il fait cette annonce qui invite l'auditeur à ouvrir l'oreille avant d'introduire le thanatographique (p39). Cette promesse préalable, cette flèche tendue vers un avenir inconnu, en appelle au désir d'alliance sans lequel des institutions nouvelles ne pourraient pas surgir. Il faut que s'ouvre un lieu où, entre les deux "je" (Je suis mort, Je vis) (p73), l'autos se disloque.

 

4. Cinéma.

Cette alliance, peut-être, peut se voir et s'entendre dans des films.

 

 

 

"Si j'essaie de reformuler aujourd'hui [la transformation jouée de auto en oto], c'est la nécessité non seulement de passer par l'oreille (...) c'est la différence dans l'oreille. (...). Le plus important, c'est que la signature ne sera effective, performée, performante, non pas au moment où apparemment elle a lieu, mais seulement plus tard, quand des oreilles auront pu recevoir le message. (...). La signature de Nietzsche n'a pas lieu au moment où il écrit, elle aura lieu posthumément selon le crédit infini qu'il s'est ouvert, quand l'autre viendra signer avec lui, faire alliance avec lui, et pour cela, l'entendre. Et pour l'entendre, il faut avoir l'oreille fine. Autrement dit c'est l'oreille de l'autre qui signe, si je veux abréger très lapidairement mon propos. C'est l'oreille de l'autre qui me dit, moi, et qui constitue l'autos de mon autobiographique. C'est quand l'autre, beaucoup plus tard, aura perçu avec une oreille assez fine ce que je lui aurai destiné, que ma signature aura lieu. D'où la portée politique de cette structure, de cette signature où le destinataire signe avec son oreille et avec un organe percevant la différence; d'où la portée politique de cette structure-là" (Derrida, L'oreille de l'autre, p71).

"La bonne nouvelle de l'éternel retour est un message et un enseignement, l'adresse et la destination d'une doctrine. Par définition elle ne peut se laisser entendre au présent. Elle est intempestive, différante et anachronique. Mais comme cette nouvelle répète une affirmation (oui, oui), comme elle affirme le retour, le recommencement et une certaine reproduction qui garde ce qui revient, sa logique même doit donner lieu à une institution magistrale (Derrida, Otobiographies, p74).

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Propositions

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Par le néologisme "otobiographie", Jacques Derrida nomme la nécessité d'engager l'"entendre-parler" de l'oreille, avec ses différences, dans la structure testamentaire du texte

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L'énigme de l'autobiographie qui engage un nom, une signature, tient au retour de différences de forces qui, disloquant l'"autos", ne se laissent pas saisir par une pensée de l'être

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Dans la différance entre le "je" auto-bio-graphique, le "je" allo-thanato-graphique et le "je" otobiographique de certains noms, peuvent surgir de nouvelles institutions du "oui"

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"Un texte, ça produit d'autres oreilles, des oreilles que je ne vois pas, que je n'entends pas moi-même, des choses qui ne me reviennent pas"

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"Mourir vivant", c'est le fantasme de Robinson Crusoé comme personnage et c'est aussi une puissance à l'oeuvre dans un livre, survivance d'une alliance entre mort et vif

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Il faut aller au-delà du lien ombilical qui, dans l'enseignement académique, se noue entre la bouche (vivante) du père (mort) et l'oreille de l'entendeur (l'étudiant)

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Le dégoût de Nietzsche va d'abord à la signature démocratique à laquelle il oppose une autre signature intempestive, à venir, seulement promise

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En s'ouvrant son propre crédit d'elle-même à elle-même, une signature fondatrice s'invente comme signature, se donne un nom et produit la contresignature qui la garantit

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L'acte fondateur d'une institution invente ses signataires, il garde en lui leur signature - ainsi la Déclaration d'Indépendance des Etats-Unis, qui invente le peuple américain

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L'otobiographie, c'est que c'est seulement quand, avec retard, l'oreille de l'autre entend "ma" signature (hétérobiographie), que le contrat autobiographique a lieu

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Le "pas au-delà", c'est qu'une signature n'est effective que pour des morts, ou pour d'autres vivants à venir qui décident de ce que je suis, y compris mon sexe

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Nietzsche a mis en jeu son nom - ou mis en scène sa signature - pour faire de tout ce qu'il a écrit de la vie ou de la mort un immense paraphe biographique

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En usant de sa liberté académique, Jacques Derrida propose une certaine démonstration autobiographique; il y prend un plaisir qu'il souhaiterait enseigner

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[(CinéAnalyse) : En prolongeant ma vie par celle d'un autre qui m'aura entendu et parlera à la première personne : oto-bio-graphie]

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Otobiographies, L'enseignement de Nietzsche et la politique du nom propre (Jacques Derrida, 1984) [Otobio]

 


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