1. Un peuple qui empêche de faire totalité.

Delphine Horvilleur s'interroge sur ce que peut signifier ce terme, "Am Segoula", qu'on peut traduire par "peuple-trésor", "peuple-médicament", "peuple distingué", ou encore "peuple capable d'opérer des distinctions". C'est un concept hébraïque, intraduisible. En quoi un peuple pourrait-il porter une thérapie, être un médicament précieux? Les Juifs eux-mêmes sont incapables de répondre. Ce problème d'élection, c'est plutôt le problème des autres, les antisémites qui dénoncent l'arrogance ou le privilège de ceux qui auraient gardé pour eux l'héritage. Les Juifs n'ont pas choisi la Révélation, elle est tombée sur eux en un lieu incertain (le Sinaï). Ils n'ont rien demandé, et on ne sait toujours pas ce qu'ils ont entendu : peut-être toute la Torah, peut-être seulement les dix commandements, peut-être rien.

L'alliance n'est peut-être pas exclusive, Dieu a pu conclure d'autres alliances avec d'autres peuples. Alors pourquoi les Juifs? Pourquoi avoir distingué un peuple? C'est le problème qui obsède les antisémites. Comme peuple séparé, les Juifs empêchent de faire totalité, "ils rendent impossible l'emploi de l'opérateur tout, quand il s'agit des êtres humains" (p126). Ils n'unissent pas l'humanité, ils la fragmentent. Avec eux, on ne peut pas attendre le salut de l'universel. Leur Dieu qui dit "Tout n'a pas été dit" ou "Tout reste à dire", qui dit "La vérité n'est jamais toute", qui entend les failles, les exceptions, ce Dieu-là provoque la fureur de ceux qui sont en attente du "tout".

2. Un secret.

Le Juif est porteur d'un secret qu'il ignore lui-même. S'il est voué au silence, ce n'est pas par choix, mais parce qu'il doit protéger ce secret dont il ne connaît pas le contenu. Ce secret terrible, absolu, a été l'expérience d'Abraham. Plus d'un Juif a voué sa vie à la découvrir, mais la règle du jeu, c'est qu'il ne s'agit pas de le dévoiler, mais au contraire de le préserver.

3. Une impossibilité.

L'élection implique une responsabilité infinie, inconditionnelle, c'est-à-dire impossible, face à laquelle le Juif ne peut que s'avouer à lui-même son impuissance, ses contradictions et ses apories. C'est aussi cet aveu qu'on lui reproche. Il ne peut ni se dérober, ni y répondre.

4. Une incertitude.

L'incertitude ne porte pas seulement sur telle ou telle réponse, mais sur son identité même de Juif. En disant "Je suis Juif", il ne réduit pas cette précarité. Cette expérience obscure, ineffaçable, commence avant même la naissance, avant la parole. Elle est injustifiable, absolument hétéronomique.

Citation du poète Yehouda Amihai (1998) : "Quand Dieu a quitté la Terre, il a oublié la Thora chez les Juifs et depuis ils le cherchent, et ils crient vers lui, avec une voix forte : tu as oublié quelque chose! Tu as oublié quelque chose! Et les autres êtres humains pensent que c'est la prière des Juifs" (Ouvert, Fermé, Ouvert, éd Shoken, Tel Aviv, cité par Delphine Horvilleur).

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Propositions

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