La première publication de Derrida a porté sur Husserl (Introduction à L'Origine de la géométrie, 1961), et dans le dernier livre qu'il ait publié lui-même (Béliers, 2003), le voilà qui pousse la phénoménologie dans ses derniers retranchements en interprétant le vers de Celan, Die Welt ist fort, ich muss dich tragen comme un retrait, une expérience extrême d'épokhè qui va jusqu'à l'anéantissement. Que reste-t-il, qu'est-ce qui survit au monde quand on le réduit de la manière la plus radicale ? Selon Husserl et son principe des principes, il reste une conscience égologique absolue, l'identité d'un vécu présent à soi dans le même instant; mais selon Derrida, ce qui reste est tout autre chose, une épreuve, une solitude absolue. S'il n'y a plus de monde transcendant, je suis seul, et cette solitude m'oblige à aller vers l'autre, à porter l'autre. C'est une injonction intraduisible et irremplaçable, universelle et singulière. Il faut ce pas au-delà, ce passage obligé, pour constituer l'ego.

Ce visage, derrière le voile, il est prélevé dans Macula (Carole Arcega, 2004).