S'interrogeant sur l'unicité de la Shoah, Jacques Derrida résume à sa façon la prise de position du cardinal Lustiger rendue publique début 1998 dans la revue des Jésuites Etudes, peu après la Déclaration de repentance des évêques de France (30 septembre 1997). On peut trouver un autre résumé de cette prise de position sur cette page. Dans le résumé derridien comme dans le texte du cardinal Lustiger, c'est la question du rapport à la Torah, du don de la Loi au Sinaï, qui est mise en jeu par cet événement historique qu'on nomme la Shoah - qui n'est plus alors, strictement parlant, un événement historique, mais un événement d'un autre genre, qu'on n'interprète ni par la sociologie, ni par la psychologie ni par toute autre considération empirique ou géopolitique, mais sur le plan théologique. Derrida ne reprend pas explicitement cette analyse à son compte, mais la met en perspective d'une manière qui la rend compatible avec sa propre élaboration. La Shoah est présentée comme un crime sur le commandement "Tu ne tueras point" que Lévinas tient pour l'unique commandement moral. Si l'expérience éthique et la Loi commencent avec ce commandement, le crime contre le peuple juif est aussi un crime contre la Torah, contre la Loi, contre l'humanité, et contre l'éthique. Les autres génocides ne sont pas aussi exemplaires car dans la tradition européenne, c'est ce peuple qui a porté en premier le poids de l'élection.

Jeune fille dans un jardin, ghetto de Lodz, entre 1940 et 1943.