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TABLE des MATIERES : |
NIVEAUX DE SENS : | ||||||||||||||||
Derrida, la traduction | Derrida, la traduction | ||||||||||||||||
Jacques Derrida - "Le Cahier de l'Herne sur Jacques Derrida", Ed : de l'Herne, 2004, pp574-575 Shylock (Charles Buchel) - |
Traduire, c'est garder la mémoire endeuillée d'un original (une livre de chair), c'est accorder par une transaction le salut à ce corps unique, singulier, perdu |
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Après avoir expliqué les raisons pour lesquelles il traduit le Aufhebung hegelien par relève, Jacques Derrida explique que cette trouvaille n'est qu'une "transaction, une transformation, un travail". Il a trouvé, à un moment donné, le meilleur compromis possible, le plus économique, entre les mots et les langues. Cette réécriture ne fait pas de ce mot une traduction adéquate ou transparente. Il y a une certaine efficacité, une certaine performativité (car les deux mots, relève en français en français et Aufhebung en allemand sont eux aussi changés, transformés), mais pas plus de légitimité qu'une autre traduction. Dans l'original (le texte de Hegel), le mot Aufhebung reste intact, intraduisible par essence, tandis que dans la traduction en français le mot relève n'est pas un équivalent parfait. Une traduction est à la fois un deuil qui reste douloureux, insurmontable, et une invention, une survie, "dans les deux sens que lui donne Benjamin dans La tâche du traducteur" (p574) : fortleben (prolongement de la vie courante) et überleben (sur-vie par-delà la mort de l'auteur, en un lieu qu'il ne pouvait pas imaginer) (p574). Malgré le deuil, il ne faut pas renoncer à la traduction. Il faut traduire, mais il y a ceux qui croient en la possibilité d'une traduction réussie (les spiritualistes, héritiers des chrétiens), et ceux qui n'y croient pas : Derrida lui-même, qui se situe en l'occurrence dans le même "camp" que le Juif Shylock, le camp de l'insolvable, de l'intraduisible et du reste énigmatique. Avec cette tentative de traduction, il a contribué à élever le signifiant vers son sens, sa valeur ou sa vérité, mais cela n'interrompt pas le deuil. Le prix de la traduction, c'est qu'elle oblige à se convertir en spiritualiste ou en chrétien. Il faut croire en la résurrection d'un corps, tout en le gardant dans son tombeau. |
Sir Herbert Beerbohm (1852-1917) jouant Shylock dans Le marchand de Venise, de Shakespeare, peint par Charles A. Buchel (1872-1950).
En refusant la spiritualisation, Shylock le Juif tend à préserver l'unicité, l'irremplaçabilité du contrat. Il reste attaché à l'alliance entre deux individus uniques. Il n'y a pas selon lui de valeur autre à cette alliance, de sens qui les dépasserait : ni prière, ni bénédiction, ni pardon, ni salut. Il n'y a qu'un seul original, un seul engagement écrit, qui prévoit la livre de chair, sans remplacement ni relève possible. Il ressent le pardon chrétien comme un rapport de force, un calcul pour le priver de son dû, alors que selon lui aucun calcul n'est assez légitime pour casser cette dette. La livre de chair est la livre de chair, elle est la contrepartie des discriminations et des humiliations qu'il a endurées. Comme telle, elle est intraduisible, voire sacrée. La Cité de Venise, avec ses lois, son droit et sa juridiction n'est que la garante du contrat. Étant humaine et non pas divine, elle ne peut pas s'élever, se mettre à la place de Dieu. Il ne peut pas croire en la traduction chrétienne, cette spiritualité qui pour lui n'est pas seulement une relève, mais un pouvoir. |
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Création
: Guilgal |
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Idixa
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Derrida DerridaTraduction DN.KJD UTraductionDeuil Rang = NTraductionDeuilGenre = MR - IA |
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