Walter Benjamin a annoncé dans une lettre qu'il prendrait l'histoire à rebrousse-poil. C'est ce qu'il fait en expliquant que c'est le passé qui vient à l'historien, comme réminiscence, et non l'inverse. Il y a dialectique entre une histoire qui fait irruption et un renversement du point de vue. L'histoire n'est pas considérée comme savoir fixe, ni même comme récit causal, mais comme processus. Il n'y a plus de possibilité de progrès ni de décadence, il y a des bifurcations, des collisions, des catastrophes. Il n'y a plus de continuité historique, mais des discontinuités et des anachronismes. L'homogénéité de l'époque explose. Le positivisme historique est ruiné. Les faits sont des choses en mouvement. Ils sont psychiques autant que matériels.

Benjamin n'a pas hésité à convoquer les nouvelles pensées de la mémoire : Freud, Bergson, Proust, les surréalistes. Il va plus loin que Marc Bloch. Les difficultés de la science historique ne viennent pas seulement de l'éloignement du passé, mais aussi d'un inconscient du temps dont l'historien se fait l'interprète. On ne construit plus l'histoire à partir de l'idée, mais de fragiles images, survivances psychiques ou matérielles. Qu'elles puissent toujours faire retour introduit une sorte de déraison dans l'histoire.