L'expressionnisme de Goya coïncide avec sa surdité. Les paroles qui expliquent, justifient, racontent, il ne les entendait plus; mais il voyait les victimes de ses propres yeux. Il était humilié, blessé avec eux. Dans Le préau des fous (1793), les victimes hurlantes étaient encore repoussées à une certaine distance. Cette distance s'efface à partir des guerres napoléoniennes. La violence surgit comme telle. Ni la parole, ni le regard ne prennent le temps d'une analyse. Certes, Goya voulait séduire le Conseil de régence récemment installé. S'étant un peu trop compromis du côté des français, il était de bonne politique d'en rajouter du côté de l'Espagne triomphante. Mais il avait autant de génie dans les petits calculs que dans la duplicité et dans l'indignation sincère. Son diptyque historique réalisé entre 1808 et 1814 Le 3 mai 1808 (Exécution à la montagne du Principe Pio) / Le 2 mai 1808 (Le combat contre les mamelouks) juxtapose un emblème national et un manifeste antimilitariste. Le second a tous les caractères de l'expressionnisme.

On ignore quel parti il défend. La peinture est organisée autour d'une couleur (rouge) plutôt qu'autour d'un acte héroïque. La scène impressionne par sa tension, sa force, son instabilité, sa véhémence. La peinture, dissociée en particules moléculaires, reflète la perte de dignité humaine. Elle en appelle directement à notre perception.