La philosophie n'est jamais donnée comme contenu positif, suite d'énoncés enseignables comme tels (même Kant, dans la Critique de la raison pure, n'a pu construire que l'esquisse de son architectonique, comme il l'écrit à la fin du livre). Que fait alors l'enseignant? Il n'enseigne pas la philosophie, il enseigner à philosopher [ce qui fait de lui un maître à philosopher], selon la célèbre sentence kantienne : On n'apprend pas la philosophie, on ne peut apprendre qu'à philosopher. On peut s'approcher de la philosophie, mais elle reste pour toujours inaccessible. Qu'advient-il alors du corps de l'enseignant? En tant que corps concret [corps de savoir ou de doctrine], il se retire. Mais ce retrait n'est pas une disparition. On peut apprendre à philosopher dans des institutions, avec des pouvoirs, des disciples, des droits et des devoirs, mais on ne peut pas s'attendre à ce qu'un individu vienne et dise "Voici ce que j'ai à enseigner". Cet individu peut personnifier le type idéal du philosophe, il peut le représenter comme un modèle, il ne sera jamais que le représentant d'une institution, un législateur. Le philosophe, en tant que corps enseignant, n'est qu'un spectre.

[Comme il est difficile de trouver une image d'un maître à philosopher sans corps, j'ai choisi de montrer ce tableau très concret de Jean-Léon Gérôme. Diogène n'enseigne à personne, il est tourné vers sa lampe. On ne voit près de lui aucun être humain. Si son corps hante une scène, ce n'est pas celle du premier plan mais l'autre scène tout au fond à droite, là où des personnages s'activent et discutent, ignorant même que le philosophe se soit retiré].