Derrida
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TABLE des MATIERES :

                            NIVEAUX DE SENS :

Les collectes de l'Orloeuvre
   
     
Le récit de l'Orloeuvre                     Le récit de l'Orloeuvre
Sources (*) : Une hantise qui vient               Une hantise qui vient
Ouzza Kelin - "Les récits idviens", Ed : Guilgal, 1988-2018, Page créée le 29 décembre 1996

 

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L'Orloeuvre est le lieu d'une dispute, jamais interrompue, sur les temps actuels

   
   
   
                 
                       

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Les Orloviens n'ont aucun but particulier. Leur activité s'organise autour d'un objet vaste et diversifié qu'on préfère désigner par un sigle : le Ctp, plutôt que par son nom complet, le Contemporain. Ce genre d'objet, défini par la pratique de l'Orloeuvre, ne s'inscrit dans aucune science ni discipline connue. Il signifie d'abord qu'on ne se fait aucune illusion : quel que soit l'objet du débat et quelles que soient les précautions prises, la question posée est toujours actuelle. En tant qu’émanation de ce monde-ci (et d’aucun autre monde passé ni futur), les Orloviens lui sont strictement contemporains. Pourtant les sujets abordés sont rarement, comme on dit, des sujets d'actualité. Ils peuvent être abstraits, historiques ou conceptuels; et si les participants sont personnellement impliqués dans les controverses, c'est moins par leur appartenance ou leur identité que par les généalogies dans lesquelles ils s'inscrivent.

Quand ils s'expriment à l'extérieur, les Orloviens sont incapables d'expliquer en quoi consiste leur travail. Pour couper court aux questions, ils parlent parfois de Cercle philosophique. En réalité ce terme est inapproprié, car la philosophie n'y est qu'un domaine parmi beaucoup d'autres. On se sert au besoin des grands penseurs de la tradition, mais on ne les sert pas. On utilise leurs idées, on développe leurs théories, on les pille si nécessaire, on les cite comme sources et comme autorités, mais on n'évolue pas dans leur univers. Cette pratique présente l’avantage de rendre toute pensée, ancienne ou récente, étrangement actuelle, ce qui est le but recherché, ou plus exactement la position psychologique considérée comme la plus valide. Mais cette position à l’écart de la philosophie repose aussi sur une autre motivation, beaucoup plus forte, qui tient à l'éthique même de l'Orloeuvre, à la tâche qu'elle prétend devoir accomplir.

De nombreux curieux, analystes, sociologues, journalistes ou commentateurs sont persuadés que tout ce cirque n'est qu'une vaste fumisterie, qu'elle doit nécessairement cacher quelque chose (des combines, des affaires louches ou des orgies), que des chefs inconnus y manigancent quelque complot et que quelqu'un, nécessairement, doit quelque part y gagner quelque chose. Dans les gazettes et les salons, ne manquent ni les rumeurs ni les explications plus ou moins savantes : l'Orloeuvre dissimulerait une tentative de déstabilisation politique, une secte, un courant anarcho-ouvriériste, une volonté de faire baisser (ou augmenter) les prix de l'immobilier dans le quartier, des spéculations ésotériques, des laboratoires secrets, etc... Mais la frontière reste parfaitement étanche entre les débats et les commérages externes qui l'escortent comme une queue de comète. Entre les participants et les commentateurs, un facteur inconnu, quelque chose comme une différence d'essence, dresse une muraille de Chine ou un mur de Berlin qui interdit a priori (et au soulagement général) toute communication.

Bendito exerce un discret magistère sur les travaux orloviens. Ce magistère ne peut pas dépasser les bornes étroites de son autorité personnelle, car il n'a jamais tenté de contrôler le contenu de l'Orloeuvre. Peut-être a-t-il influencé certaines évolutions de méthode : par exemple le recoupement des lignées par des parcours, la mise en route des Grands Livres reprenant transversalement les parcours. Mais chacun mène indépendamment son affaire. Une nuée d’écrivailleurs plus ou moins reconnus fonctionnent comme scribes tertiaires ou quaternaires et modifient l'Orloeuvre à leur aise en l'absence de tout plan d'ensemble.

Pendant longtemps, la police a exercé une surveillance discrète à l'intérieur et aux abords du loft, mais elle a fini par renoncer faute de résultats : ni commerces, ni trafics, pas la moindre circulation d'argent, pas même des propos subversifs (qui d'ailleurs n'ont rien d'interdit, car Paris est encore la capitale de la France et la France est encore, dieu merci, une démocratie). Bref, tout ceci est devenu aussi normal qu'anormal. Par son incongruité même, l'Orloeuvre a trouvé sa place dans les méandres du paysage parisien : un lieu admis et accepté comme un étranger qu'on ne comprend pas, dont on tolère la présence (car comment démontrer que sa présence est intolérable?), mais dont l'inconvenance foncière ne fait guère de doute.

 

 

 

L'entrepôt du 231bis, quai de l'Idve offre un spectacle étrange. Toute cloison intérieure ayant été supprimée, il se présente comme un vaste loft composé de plusieurs espaces séparés par des meubles. La plupart des volets demeurant ouverts de jour comme de nuit, le regard du piéton s'égare sur des grappes de personnes dont l’activité lui est opaque. L'habitant du quartier s'habitue à leur présence mais ignore tout de la nature de leurs activités. Sauf rares exceptions, il se garde de franchir la porte, et le son ne passe pas les vitres. Il en résulte une ambiance typique, très particulière, quelque chose d'intermédiaire entre le salon mondain, l'auberge de jeunesse, les ponts de Paris, le café pour étudiants et la maison de campagne.

Cet univers si spécial a fini par attirer de nombreux visiteurs. Certains viennent spécialement, de province ou de l'étranger, et passent plusieurs jours dans le loft. Comme le brun-rouge est la couleur dominante des meubles et des objets, la boutique dégage une impression de fumerie d'opium à la chinoise. Pourtant personne n'a jamais eu l’idée d’y introduire la moindre drogue à l'exception bien entendu du principal stimulant du lieu : la parole. On éprouve en y pénétrant un sentiment proche de celui qu'on imagine à Sherlock Holmes en certains endroits spécialisés. Mais la drogue de l'Orloeuvre se passe de dealers. Sa consommation exige une très particulière préparation psychologique, faite de régression et d’une sorte de refus obstiné du sevrage.

Les murs sont remplis de schémas fléchés, et les rares tables recouvertes de plusieurs épaisseurs de nappes gribouillées. Pour la plupart, les participants préférent la position couchée, comme s'ils avaient voulu respecter la vieille tradition du banquet. Mais il ne passe pas dix secondes sans que l'un d'eux ne traverse la boutique, et la motilité des personnes donne l'impression que plusieurs pièces de théatre dirigées par des metteurs en scène différents se jouent simultanément dans un seul décor composite.

- Tavleen : J’aimerais tellement me sentir bien, comme ça, d’emblée, sans avoir à réfléchir. Bien dans mon époque. J’aimerais tellement m’y retrouver toute entière en direct, sans fioritures. J’aimerais tellement en profiter sans état d’âme! Mais quelque chose m’en empêche.

Silence.

- Prigent (en l’absence de Bendito ainsi que de Valentin Servanne, il joue le rôle de scribe). Tavleen, tu as quelque chose à inscrire dans ta lignée?

- Tavleen : C’est un enjeu. En attendant, je ne suis pas contemporaine de moi-même.

Elle réfléchit.

- Madjiguène : Il suffit de se laisser aller.

- Mervyn : Il y a des évidences incontestables. Il suffit que tu parles, et tu es le contemporain de toi-même. Dire le contraire est absurde.

- Tavleen : En tous cas, moi, quelque chose m'en empêche.

Clac Clac!

- Tavleen : Non! ne la note pas.

- Prigent : Aucune phrase n'est absurde dans l'Orloeuvre.

- Tavleen : Une sorte de nausée. Pour que j'y arrive, il faudrait un mouvement, un mouvement qui me répugne, peut-être parce que je préfère le mouvement inverse.

- Mervyn : Je ne comprends pas ce que tu veux dire... (grommelant, ton légèrement agressif, tempéré, patelin, comme s’il retenait sa colère à cause de la séduction calme de cette personne, de cette jeune femme, de cette peau au teint de noisette) Quoi, qu’est-ce qui t’en empêche?

- Tavleen (avec hésitation) : Il y a quelque chose qui va pas. Quelque chose qui fait que, moi, j’en fais pas partie.

- Mervyn : Tu y répugnes?

- Tavleen : Je crois pas. Je suis d’accord pour l’essentiel, mais j’y arrive pas.

- Madjiguène : Si tu veux réussir, il faut céder un peu de toi-même.

- Tavleen : Est-ce que c’est un devoir? Qu’est-ce qui nous y oblige?

- Mervyn (insistant lourdement) : Être son propre contemporain, quoi de plus évident?

- Tavleen : Et si on avait le choix?

- Mervyn (curieux bonhomme avec son front plein de bosses) : Il te faut quoi? On est tous par définition le contemporain de soi-même n'est-ce pas? Qui pourrait le nier? Si je suis là quelque part, alors je suis le contemporain de ce quelque part. C'est trivial. C'est la définition même du Ctp : ce qui est contemporain de nous-mêmes. Je n’arrive pas à comprendre qu’on puisse en faire un enjeu.

(Danel) Etre le contemporain de tout le monde, si tu savais comme c'est difficile, tu peux pas l'imaginer, alors toutes les solutions sont bonnes, y compris celle-là, être le contemporain de ce qui va venir un peu plus tard...

- Matricia : Mais voyons, c'est ce que tu fais chaque jour! Tu es vivante Tavleen. Tu peux le constater, non? Réfléchis-bien, c'est dans le mouvement de la vie que tu appartiens à ton époque.

 


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