Dans Circonfession, Jacques Derrida parle de la mort de sa mère qui a perdu deux fils, l'un en 1929, Paul Moïse, âgé de trois mois, juste avant la naissance de Jacques (1930), et l'autre, Norbert Pinhas, mort à l'âge de deux ans en 1940, quand Jacques avait neuf ans. Celui signifie que lui-même a perdu deux frères, sans compter son cousin Jean-Pierre (Circonfession p229) écrasé par une voiture.

Dans Un ver à soie, il raconte que le père de sa mère (née Georgette Sultana Esther Safar), dont le prénom était aussi Moïse, lui a fait don d'un talith qu'il n'a cessé de garder chez lui, de tenir au secret, de toucher et de caresser, jusqu'à la fin de ses jours. C'est lui, le petit-fils, qui a prêté quelques années ce talith à son père (Aimé Derrida). Etrange saut des générations.

-------

Depuis son enfance, Jacques n'est-il qu'un survivant? Entre deux frères et un grand-père, il vit dans un monde de fantômes, où il remplace à lui seul au moins deux Moïse (en tous cas plus d'un). Faut-il s'étonner qu'il se soit vu, plus tard, comme un nouveau Moïse, puis comme un nouvel Elie, et en plus (comme si ce n'était pas suffisant), comme un autre Abraham? A cela aussi il a des raisons familiales, car Abraham est le prénom hébraïque de son frère aîné René - et aussi celui de son grand-père paternel.