Artaud avait le sentiment de n'avoir rien à dire, lui-même, en son nom propre. Ce défaut n'était pas de type intellectuel car il pouvait trouver les mots, mais il les perdait, il en était dépossédé par "un quelque chose de furtif qui m'enlève les mots que j'ai trouvés" (lettre du 29 janvier 1924 à Jacques Rivière). "Je voudrais que vous compreniez bien qu'il ne s'agit pas de ce plus ou moins d'existence qui ressortit à ce qu'il est convenu d'appeler l'inspiration, mais d'une absence totale, d'une véritable déperdition" écrivait-il le 5 juin 1923. Tout se passe, explique Derrida, comme si sa parole n'avait pas de sujet propre, comme si elle se dérobait. Il recherche alors une "bonne" inspiration, dont il pourrait garder la propriété. "La bonne inspiration est le souffle de la vie qui ne se laisse rien dicter parce qu'elle ne lit pas et parce qu'elle précède tout texte" (Derrida, p266). Qu'est-ce qui est à trouver, à proférer en urgence? Quel est ce point de totale authenticité qui ne se rattacherait à aucune trace, qui ne renverrait à aucun texte qui l'aurait précédé? Un souffle introuvable, une force d'avant toute vie qu'on peut aussi nommera Khôra, ou subjectile, comme le fera Derrida ultérieurement.