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TABLE des MATIERES : |
NIVEAUX DE SENS : | ||||||||||||||||
Derrida, la Torah | Derrida, la Torah | ||||||||||||||||
Sources (*) : | La pensée derridienne : ce qui s'en restitue | La pensée derridienne : ce qui s'en restitue | |||||||||||||||
Pierre Delain - "Les mots de Jacques Derrida", Ed : Guilgal, 2004-2017, Page créée le 12 novembre 2005 | L'élection juive, impossible | [Derrida, la Torah] |
L'élection juive, impossible | Autres renvois : | |||||||||||||
Le talith, alliance avec l'imprononçable |
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Derrida, la loi, le droit |
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Derrida et le judaïsme |
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Orlolivre : comment ne pas étudier ? | Orlolivre : comment ne pas étudier ? |
La Cabale cachée de Jacques Derrida |
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Derrida, judaïsme, judéités | Derrida, judaïsme, judéités | ||||||||||||||||
Jacques Derrida raconte que, dans son enfance, il n'a reçu aucune culture religieuse. Quand, en 1943, les lois de Vichy lui ont interdit l'école laïque, il a préféré s'abstenir de fréquenter une école juive. Il n'a acquis sa culture biblique que plus tard, parallèlement à sa culture philosophique. Cela ne l'empêche pas de citer souvent des passages de ce qu'il appelle l'Ancien Testament ou le texte biblique (parfois la Torah, mais rarement). Des nombreuses citations, lectures, interprétations qu'il en propose, on peut retenir deux cheminements, peut-être difficilement conciliables : - d'une part, il considére la pensée gréco-judéo-chrétienne comme la source du logocentrisme européen, une "logo-zoïe" qui, par la force, soumet le vivant au logos - c'est la piste du jewgreek, du rassemblement des traditions. Dans cette perspective, la bible concourt à l'hégémonie du Verbe et au phallocentrisme d'une certaine métaphysique; - d'autre part, tout en récusant toute appartenance à une communauté, il se déclare Juif, et il insiste : cette déclaration est pour lui essentielle, incontournable, même si son lien à la tradition juive est complexe et contradictoire [v. cette page]. Citer la bible n'est donc pas, pour lui, une opération neutre.
1. Torah, Midrach, Cabale vs philosophie. Assez souvent, il cite donc les textes bibliques, mais il ne mentionne que très rarement les autres textes de la tradition juive (Talmud, Midrach, Cabale), même si, dans certaines de ses problématiques, ou peut en trouver la trace, directe ou indirecte. Il mentionne plus souvent les Pères de l'Eglise, de Saint Augustin à Thomas d'Aquin. On ignore s'il a lu les auteurs juifs traditionnels, comme Maïmonide. Il lui arrive de les mentionner, mais le plus souvent il les évite. Quand on l'interroge sur l'un de ces textes, il précise qu'il ne peut répondre qu'à partir des enjeux d'aujourd'hui. Sa stratégie, c'est de traduire les anciens textes dans des problématiques où le politique ou l'éthique se muent en politique à venir, en au-delà du souverain ou de la loi, ou encore en transpolitique, transéthique. L'événement du texte sacré, c'est qu'il commande une traduction sans laquelle il ne serait rien. Modèle de toute écriture, il se confond avec l'acte de langage. Unique, intouchable, il est intraduisible, tout en appelant au devoir de traduire, à la dette, à la transformation. En le traduisant malgré tout, on vise l'essence du texte, on tente de réconcilier les langues sans toucher à l'original.
2. L'alliance du Sinaï. Sinaï est le nom d'un événement unique : l'alliance, le don de la loi au peuple élu. Cet événement n'est pas simple, il appartient à plusieurs temps disjoints, plusieurs instances : le don de la Torah, les Tables données, puis brisées, puis resculptées, l'interdiction de voir Dieu en face-à-face, le voilement du visage de Moïse, à quoi il faut ajouter d'autres événements de la modernité qui en complexifient encore le statut, comme le voyage de Sadate à Jérusalem (1977). Il faut à la fois : - reconnaître la singularité et l'unicité du nom Sinaï. Comme Spinoza le déclarait déjà en son temps, il ne peut y avoir alliance entre un Dieu et un peuple que par leur nom singulier et irremplaçable. L'alliance est scellée par un acte unique, un coup de force, de colère ou de vengeance, un geste inexplicable qui impose une loi. Vouloir justifier l'élection, la rationaliser, l'universaliser, c'est la christianiser. - reconnaître que Sinaï est aussi un mot de la langue qui renvoie à d'autres expériences. La tradition juive admet la possibilité qu'avant le Sinaï, il y ait déjà eu une Torah. Elle admet aussi la possibilité d'autres alliances. Après avoir suscité le déluge et l'avoir regretté, Dieu fait advenir l'alliance de Noé, cette alliance furtive, météorique (l'arc-en-ciel) où pour se dire pardon à soi-même, il bénit tout vivant. En s'engageant dans cette alliance fragile, immédiatement transgressée par Noé, Dieu s'engage à se retirer, à ne plus faire de mal. Il pourrait y avoir encore d'autres alliances auxquelles le mot Sinaï renverrait dans d'autres langues extérieures à la tradition hébraïque, et dans d'autres cultures. Ce qui est nommé par le nom "Sinaï" est une alliance avec l'hétérogène, le séparé (kadosh : le saint). Son contenu importe moins que l'alliance elle-même, dans sa dissymétrie, dans son principe. Vouloir la détruire, c'est s'en prendre à l'éthique même - ce qui est arrivé avec la Shoah. Il faut, pour aujourd'hui, laisser venir d'autres alliances : celles d'avant (l'exigence de justice, le visage) ou encore d'autres à venir dont on ne peut prévoir ni le contenu, ni les contractants. Le Sinaï est le lieu de la brisure des Tables, que Derrida a associée dès 1963 à la structure même de l'écriture, à la différance. Il ne veut pas, comme d'autres, faire de la formule du buisson ardent, Ehieh acher ehieh [traduit parfois par Je suis ce que je suis ou encore par Je serai que je serai], une variante du logocentrisme universel. Ce qui s'y dit se dérobe à toute perception, ne peut se comparer à quoi que ce soit. Ce n'est pas l'unité, c'est toujours le (Un + n) qu'il nomme aussi logique du talith. C'est cette ouverture qui permet à Derrida de dire : Je suis le dernier des Juifs. En ce lieu où il écrit, il reçoit le don de la tradition hébraïque, mais renonce à son exclusivité.
3. Dédoublements. La Torah commence par la seconde lettre de l'alphabet (beth), dont la valeur est 2. L'oeuvre de J.D. peut être interprétée comme un développement de ce thème : dédoublement et supplémentation. Il y a toujours plus d'un, et plus de deux, etc... Dans le texte biblique, cette logique supplémentaire prend (entre autres) la figure du Léviathan, ce monstre, cet artefact au-dessus des lois. Elle est messianique, symbolisée par une grenade, figure de la dissémination. C'est l'alliance où le texte se cite lui-même, se plie et se replie comme le Tabernacle du désert. Entre Torah écrite et Torah orale, la loi se dédouble. Il faut toujours réinventer ce dont on hérite. D'un père qu'on peut dire disparu ou aveugle, car il ne semble pas en hériter, Jacques Derrida aurait reçu la bénédiction qui l'autorise à venir en-plus, ou en double.
4. Les patriarches : Abraham, Isaac, Jacob. "Me voici", répond Abraham (ou Abram) à l'appel de Dieu, sans même savoir ce dont il s'agit. Jacques Derrida interprète cet acquiescement, premier enseignement du patriarche biblique, comme un "oui" originaire (primaire, primordial, archi-originaire, etc.), plus "vieux" que le "oui" courant, une réponse à l'autre qui, déjà, l'aura accueilli, aura dit "oui" (double oui). Il y aurait dans les textes de la Torah un vouloir-dire plus vieux que tout acte de foi, un axiome absolu qu'il faut entendre. Abraham est le nom de celui qui, en premier, l'aurait entendu. Avec l'appel, la promesse, la circoncision qui tranche au milieu de son nom, l'épreuve du mont Moriah, Abraham se retire devant Dieu. La question de l'alliance est posée. L'épreuve d'Abraham (dite aussi sacrifice d'Isaac) est le moment originaire de la responsabilité. En s'adressant à lui comme personne, Dieu implore Abraham qui reste silencieux, prêt à renoncer à sa vie antérieure, à l'éthique de sa famille, à l'estime de sa communauté, à sa tradition. Les raisons pour lesquelles il accepte l'épreuve de la ligature d'Isaac doivent rester secrètes. Ce n'est pas la loi courante, humaine, qui s'impose à lui, c'est une autre justice, absolue, infinie, inouïe. Il tremble, mais n'hésite pas. Son engagement, qui n'est suspendu à aucune rétribution ni récompense, est inconditionnel. il ne calcule pas. C'est alors que se noue le paradoxe d'Abraham : pour acquiescer au lointain, il faut se séparer du proche, y compris en lui donnant la mort. Pour ceux qui engagent leur responsabilité personnelle, ce paradoxe est toujours d'actualité. Nous sommes tous assignés à l'héritage irrévocable d'Abraham. Jacques Derrida acquiesce, lui aussi, à l'appel qui invite au départ, à la coupure et au désaisissement. Pour répondre au Shema Israël, il s'engage dans une alliance, mais c'est une autre alliance. Il se pense comme un autre Abraham, un autre Elie, un Jacob égaré.
5. La Genèse. Bien qu'il n'aime ni le mot, ni la racine "gen...", on peut dire que Derrida n'a jamais cessé de (se) poser la question de la genèse. Il lui est même arrivé de la mentionner comme telle, par exemple dans Glas, quand il interprète le rêve d'Harcamone. Le lieu auquel ce rêve renvoie n'est-il pas aussi celui de la Khôra ou du colpos grecs dans lequel pénètrent quatre figures de la loi? C'est son livre à lui, son nouveau testament. Dans le second récit de la création, avant la faute, quand l'homme est encore nu et ignore la honte, Dieu lui laisse la liberté de nommer les animaux, tout en le chargeant d'une tâche : les dominer, les assujettir. Ainsi s'impose à lui le propre de l'homme non comme un triomphe, mais comme la crainte d'une prolifération, d'une hybridation dont il doit se protéger. Il faudra qu'il cache sa nudité, qu'il ne découvre pas ses parties honteuses, qu'il tienne à l'abri le secret. Mais la distinction entre l'homme et l'animal est fragile, voire contestable, comme le dit l'Ecclésiaste. Le septième jour n'est pas (seulement) celui du repos. C'est (aussi) celui où le supposé auteur se réduit à l'effacement d'une trace et laisse proliférer ce qui est à-venir, inanticipable. Selon Derrida, c'est ainsi que Freud s'est laissé aller à écrire le septième chapitre de son "Au-delà du principe de plaisir".
6. Babel, le tétragramme, le nom de Dieu. Pour Derrida, le récit de la tour de Babel n'est pas un récit comme les autres. Il occupe une place singulière, unique, où s'inscrit en abîme la fonction du texte sacré. Situé au début du chapitre 11 de la Genèse, il interrompt l'énumération de la lignée des Sémites - faisant obstacle à toute continuité généalogique. D'un côté il faut de l'intraduisible (la confusion), mais d'un autre côté, il faut traduire, c'est-à-dire faire survivre les oeuvres (y compris la bible) en les déconstruisant. En appelant simultanément à traduire et ne pas traduire, la parole divine appelle la prolifération des langues. Une colonne disséminante, invisible, remplace la tour. Le Dieu-Babel est à la fois le nom propre de l'unicité, et celui qui séme la confusion des langues. Clamer son nom, c'est déconstruire la tour. Derrière le fantôme du Finnegans Wake de Joyce qui, selon ses propres dires (Ulysse p27), est à l'oeuvre dans tout ce qu'il a écrit depuis ses débuts, il y a le tétragramme, le nom de Dieu. Il déclare le commencement, dans l'acte même où il le déconstruit.
7. Prophètes. - Elie : C'est le nom qu'il a reçu à sa naissance, celui dont il a hérité et celui qu'il ne cesse de revendiquer, y compris en titrant l'un de ses cahiers (non publié) : le Livre d'Elie. Elie est celui qui, à chaque circoncision, rappelle l'alliance; mais sa venue n'est pas garantie. Bien qu'on garde soigneusement sa place dans les synagogues, sa venue est imprévisible, incalculable. - Ezéchiel : Manger la loi écrite, c'est garder l'écriture, tout en l'effaçant. Le lecteur de la Torah comme celui des poèmes est en mal de transmission, comme les aveugles de l'Ancien Testament sont en mal de fils. - Jonas : Comment se fait-il que la baleine (ou le gros poisson), dans le Livre du même nom, ait vomi Jonas ? Derrida fait une étrange comparaison. Elle l'a vomi, rendu à la mer, comme la baleine a craché Jonas. Ce n'était pas pour s'en débarrasser, c'était pour le remettre dans le chemin qui était le sien, celui de la prophétie. Ainsi faut-il faire, peut-être, à l'égard de la philosophie.
8. Rites. Dans le texte de Jacques Derrida, la circoncision, pratiquée par la mère (selon l'acte de Tsiporah, femme de Moïse) ou par soi-même (comme Abraham), opère comme fantasme ou matrice d'une série de termes qui affectent le corps et l'écriture. S'il fallait trouver un fil directeur aux développements qu'il associe ou qui peuvent être associés à des passages de la tora, ce pourrait être le talith, seul objet rituel qu'il ait gardé avec lui toute sa vie. Il ne portait pas le talith, c'est, dit-il, le talith qui le soutenait. Il le regardait, le touchait, et cela lui rappelait la loi et les commandements. La logique du talith n'est pas celle du dévoilement, c'est celle de la parokhet, le double voile qui, dans le temple, sépare le public du Saint des Saints et préserve le secret.
9. Retrait, la langue hébraïque. On peut s'interroger sur le rapport de Derrida à la langue hébraïque. Il cite souvent la torah, mais rarement le texte dans la langue d'origine. Pourquoi? L'hébreu, il ne l'a pas appris dans son enfance, dit-il pour se justifier. Mais a-t-il appris le latin? Et le grec? Et l'allemand? Quand il lit Platon, les Evangiles ou Heidegger, cela ne l'empêche pas de les citer dans leur langue; mais dans le même livre (Donner la mort), à propos de l'Epreuve d'Abraham, il omet le mot hébreu. Ce souci de ne rien dire en hébreu ne tient pas à l'ignorance, mais à un choix. Tout se passe comme s'il fallait ne pas parler (hébreu), ne pas en parler, et même ne pas parler de la raison pour laquelle on n'en parle pas, dans un surcroît de théologie négative. Dans son analyse d'un texte de Gershom Scholem publié dans Les Yeux de la langue, il reconnaît la dangerosité de cette langue sacrée. Ce rapport à la langue hébraïque se retrouve dans le rapport à Dieu. Il s'est retiré, il est silencieux, tout-autre. Sous le texte de l'alliance, derrière le lexique hébraïque, ne se présente qu'un espace vide. On peut toujours dire (ou faire) "comme si" : s'il y avait un face à face avec Dieu, il se présenterait comme présence totale; ou bien : si l'on pouvait lever les apories, ce serait le paradis. Ou encore : on peut suivre le chemin d'une messianicité vidée de son contenu en la rebaptisant d'un terme grec, téléiopoèse. Bien qu'on dise et écrive tout cela, dans sa langue, Dieu s'est retiré. La Torah elle-même est le lieu de la trace, telle que Emmanuel Lévinas (E.L.) l'a pensée, ou de la sériature telle que Jacques Derrida (dont le prénom peut s'écrire, en transcription phonétique française, Jac(ob) / (Isa)ac) l'a pensée : une série de ratures qui pourrait aboutir à la cendre, à l'effacement complet. On revient à l'axiome absolu que les textes laisseraient entendre : à ce qui est nommé Dieu, il appartient de pouvoir se rétracter. Le deuil de la Torah est aussi sa hantise. Elle ne peut pas ne pas revenir.
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-------------- Propositions -------------- -Un Oui originaire, acquiescement donné à quelque présentation de soi, survit à toutes les négativités -"Me voici", moment originaire de la responsabilité, répond à une demande, une imploration qui exige l'amour inconditionnel de l'unique -En acceptant le sacrifice d'Isaac, Abraham sacrifie aussi la loi de la maison : au-delà de l'économie et du calcul, il renonce à toute rétribution, récompense, échange et espoir -Il y a dans le sacrifice d'Isaac un appel à un devoir absolu, infini, inouï : la moralité même, inconditionnelle, là où elle met en jeu le don de la mort donnée -L'épreuve d'Abraham porte sur sa capacité à garder un secret au moment des pires sacrifices : donner la mort à son fils, renoncer à la promesse d'avenir qui lui a été faite -Abraham est si attaché à la séparation qu'il impose la circoncision, ce signe ou ce simulacre de castration, à lui-même et à ses descendants -Au moment de sa circoncision, Abraham ressentit, d'un coup de lettre, la lettre h au milieu de son nom -"Je pourrais, pour moi, penser un autre Abraham" - ou plus d'un Abraham -"J'ai dû me porter moi-même lors de ma circoncision" : pour qui sait lire, cela s'écrit dans la différance -Interpréter "Ehieh acher Ehieh" comme logos, unicité de l'être, c'est faire du judaïsme une simple variante du logocentrisme universel -"Yhvh parlant face à face avec Moïse" : telle est l'expérience nue de la présence totale à laquelle nous n'avons jamais accès, ni par le visage, ni par la voix -La parokhet (voile qui séparait le "Saint" du "Saint des Saints") est une oeuvre double : vers le seuil, elle est faite par un artisan; vers le secret, elle est inventée par un artiste -Par ses mots écrits en plusieurs langues, James Joyce joue de la lettre inaudible comme du nom de Dieu : il déclare et déconstruit le commencement (Yahwé/he war) -Aucun "schème" médiateur ne peut donner à une nation singulière une mission exemplaire, à la fois irremplaçable et singulière, ce ne peut être qu'un "shem", un nom propre -Il faut bien, au commencement, quelque coup de téléphone : "Allô, j'écoute, je suis là, présent, prêt à parler et à répondre" - comme dans le "Shema Israel" -Qu'on puisse reconnaître une Torah d'avant le Sinaï entraîne vers la logique à peine pensable où l'unique peut être remplacé, dans l'expérience même de l'unique -Le nom "Sinaï" porte ce qui sera venu avant Sinaï : le visage, le retrait du visage, et ce qui dans le Dire contredit le Dire : la justice -Jacques Derrida a toujours associé les concepts d'écriture et de différance à la brisure de la loi de Moïse -Le nom "Sinaï" appartient à plusieurs temps disjoints, plusieurs instances qu'il nous appartient de penser ensemble -La fondation de toute société humaine répond à une violence pré-originaire, une vengeance de Dieu qui peut toujours faire retour -Dans le Lévitique, le principe "Tu aimeras ton prochain comme toi-même" contribue à fonder sur la justice le lien politique et social, sans autre justification ni économie -Le Joyce de "Finnegans Wake" est intraduisible; mais il appelle la traduction, comme l'interdit de l'image appelle l'image -L'universalisation du sens de l'Ecriture, chez Spinoza, est une christianisation -Jacques Derrida réinterroge à sa manière la question du rapport entre tora écrite et tora orale -[Derrida, la Tour de Babel] -Alliance de Noé : comme s'il regrettait la malédiction du déluge, Dieu se demande pardon à lui-même et bénit tout vivant; mais le signe de cette alliance est furtif, météorique -En graciant Noé, Dieu pardonne pour le mal qu'il a fait advenir dans le désir de l'homme; par ce retrait, cette alliance, il lui laisse la souveraineté terrible au nom de laquelle il l'a créé -"Manger la loi écrite" est la figure biblique où l'écriture se garde en s'effaçant, où sa trace séparée de la chair remplit la bouche -Tout ce qui constitue le propre de l'homme dans le discours occidental tient à un défaut originaire : la nudité devant le regard de l'animal, qu'"il faut" cacher -En laissant à l'homme solitaire et souverain la liberté de nommer les animaux, Dieu s'abandonne à la radicale nouveauté de ce qui va arriver : le pouvoir de l'homme à l'oeuvre -La supériorité inconditionnelle et sacrificielle de l'homme s'éveille depuis un temps d'avant la chute, d'avant la honte de la nudité - quand l'animal est nommé pour la première fois -Il n'y a pas un péché originel, mais deux : pour Caïn, ne pas avoir préféré le sacrifice animal, ne pas avoir offert la chair sacrificielle -Si la distinction entre périr - où la vie s'arrête - et mourir - dont seul le Dasein peut témoigner - est compromise dans son principe, alors l'oeuvre de Heidegger chute dans l'aporie -Le talith enveloppe un seul corps, unique, pour la prière, la bénédiction et aussi pour la mort -La circoncision, cette coupure du pourtour, est instituée par et pour la mère -Les Ephraïmites, qui ne peuvent pas prononcer schibboleth, sont incirconcis de la voix - comme on peut l'être des lèvres, de la langue, des oreilles ou du coeur -Fantasme de Jacques Derrida : "Ma mère, en signe d'alliance, me circoncit de ses lèvres, et j'éjacule dans sa bouche quand elle avale le prépuce" -Jacques Derrida, dont le prénom commence comme Jacob et finit comme Isaac, est à la fois le fils élu contre la loi et le père qui, en bénissant ses fils pour les protéger, se retire -Le talith ne cache rien, ne montre rien : il se touche, se caresse et rappelle à chacun, singulièrement, la loi -Il fallait qu'Isaac et Jacob soient devenus aveugles pour qu'ils puissent accomplir le dessein de dieu en bénissant par substitution l'autre fils -Tous les aveugles de l'Ancien Testament (Isaac, Jacob, Eli, Akhiyahou, Tobit) sont en mal de fils -L'oeuvre du poète est une chambre d'échos : le poème réinvente ce dont il hérite, il bénit et dissémine ses semences -Qu'un "je" se cite soi-même, qu'il en fasse le récit, c'est ce qui, dans la vie comme dans la Genèse, donne lieu à l'alliance de l'affirmation avec elle-même : "oui, oui" -Il y a dans le texte de Freud "Au-delà du principe de plaisir" sept chapitres - comme dans le récit biblique de la création -La figure de l'animal est double : soit la bête naturelle que l'homme domine par la loi de la raison; soit le monstre, le Léviathan, cet artefact au-dessus des lois -Jacques Derrida décline le rêve d'Harcamone comme son livre, sa Genèse, son nouveau testament, son colpos, le labyrinthe ou la crypte du "Je m'éc" -Elie est double : on ne peut convier l'un - le grand opérateur des savoirs et des centraux téléphoniques - sans avoir l'autre - le prophète imprévisible -Avant tout acte de foi, on devrait pouvoir entendre l'axiome absolu que les textes de la Torah veulent dire : à ce qui est nommé Dieu (Yhvh), il appartient de pouvoir se rétracter -Avec le "gala" hébraïque, comme avec l'"apokalupsis" grec, il y va du dévoilement d'un secret, du découvrement des parties honteuses -L'autre est celui qui garde le silence, celui qui, comme un tout autre ou un Dieu, ne partage pas avec nous son secret -Jacques-Elie Derrida est celui qui annonce la téléiopoèse, cette structure messianique -Il faut vomir la philosophie, la rendre à la mer des textes, comme la baleine a craché Jonas -Un Livre d'Élie (non biblique), signé Jacques Derrida, est resté sous forme de carnets -Elie est le prophète dont la venue est imprévisible, incalculable - mais pour lequel une place doit être gardée -Jacques Derrida a reçu le nom hébraïque d'Elie : signe d'élection, don caché, appel silencieux d'un prophète qui, à chaque circoncision, rappelle l'alliance -Dans le texte de la Genèse, le statut et l'événement de Babel, comme texte sacré, est unique -En se donnant un nom supplémentaire, à la fois nom propre et nom commun, Dieu-Babel déconstruit la langue unique (la Tour) et (inter-)rompt la lignée des Sémites -Babel, c'est à la fois le nom propre de l'unicité (une langue), et un nom commun semant la confusion (plus d'une langue) -En choisissant de se donner à lui-même le nom Babel, Yhvh donne à traduire [il faut traduire] et à ne pas traduire [il ne faut pas traduire] -L'événement du texte sacré, c'est qu'en commandant une traduction sans laquelle il ne serait rien, il se fait acte de langage, modèle et limite de toute écriture -Traduire, c'est viser l'essence, la racine commune du littéraire et du sacré, c'est promettre un hymen, une réconciliation, un contrat qui préserverait l'intouchable et la brisure -[Jacques Derrida a constamment évité de mentionner le Juif qui, comme lui, aurait voulu inventer un judaïsme égaré : Maïmonide] -Marrane égaré en des lieux désertés par Dieu, où il n'y a plus personne, sans savoir ni certitude, Jacques ou "Jacob" Derrida hérite de prières sans destination assurée -L'enjeu des textes talmudiques ou midrachiques, aujourd'hui, c'est leur traduction en questions métapolitiques, transpolitiques et transéthiques -Tous les jours, pour chaque décision de chaque homme ou femme engageant l'éthique et la responsabilité, le sacrifice d'Isaac continue, mettant en jeu le paradoxe d'Abraham -Pour qui assume la responsabilité personnelle, ni le sacrifice d'Isaac, ni la parole de Luc exigeant des disciples la haine de leurs proches, ne peuvent être effacés -Si l'on pouvait lever les apories qui rendent impossible l'au-delà du souverain, ce serait le paradis -Avec le logocentrisme, une opération "européenne" impose une hégémonie, une autorité en rassemblant les traditions bibliques et philosophiques -La pensée gréco-judéo-chrétienne unit en un même concept, une "logo-zoïe", le logos et la vie du vivant -Le michkan (Tabernacle, ou Demeure du Saint des Saints) est fait de textures (ou tentures, ou tapis, ou étoffes, ou bandes) dont il faut sans cesse remployer l'excédent -Sous le texte de l'alliance, sous la pierre du temple, sous la tente du Tabernacle, le propre du Juif est un espace vide qui lui est infiniment étranger : la loi -Dieu s'est séparé de soi en laissant le silence interrompre sa voix : son écriture commence avec les Tables, à la voix rompue et à la dissimulation de sa Face -Chez Lévinas, le mot "éthique", ce point de rupture, n'est qu'un pis-aller grec pour traduire le discours hébraïque sur la sainteté du séparé (kadosh) -Comme la bénédiction, la prière se tient au-delà du vrai et du faux; elle appartient au régime originaire de la foi testimoniale -Sinaï aujourd'hui est un nom de la modernité -On peut analyser la Shoah, qui vise la destruction du peuple de l'alliance, comme crime contre la Loi (la Torah du Sinaï), mise à mort de l'éthique -Au-delà de la théologie négative, le lexique hébraïque peut ouvrir à un athéisme radical : la sainteté du kidouch -La sériature derridienne, définie à partir de la pensée de la trace chez Lévinas, renvoie au re-trait ab-solu du nom révélé de Dieu |
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Création
: Guilgal |
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Idixa
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