Cette formulation est paradoxale, impossible. En effet, encrypter signifie chiffrer, coder, encoder - et l'Internet est manifestement chiffré, codé, encodé. Il est donc, par essence et par définition, encrypté. Sinon, il n'existerait pas. Et pourtant je maintiens cette formulation. Je l'affirme haut et fort : c'est ce qu'il faut faire. Quoi? Faire en sorte qu'il ne soit pas un objet, un appareil, un ensemble de réseaux, une machinerie mais un monde, un lieu immaîtrisable, un objet étrange, indéfinissable, que l'on puisse découvrir comme toujours neuf. Si je dis que c'est une tâche, c'est que ça n'a rien d'automatique. Des forces puissantes tirent l'Internet vers la pulsion de mort, la répétition. Pour lutter contre ces forces, il faut le décentrer, l'écarter de lui-même, entretenir cette quatrième révolution copernicienne où la parole se dissémine. Cette intelligence collective qui émerge peut être le meilleur comme le pire. Il ne faut se résigner à rien, mais agir. Le savoir est ce qu'on en fera.
Nous nous en servons, mais il ne se réduit ni à ses usages, ni à l'addition des consciences qui s'y connectent. On ne le vit pas comme un appareillage, mais comme un espace qui produit des imaginaires et des idéaux. Evidemment c'est une illusion, nous savons tous qu'il est l'addition d'un hardware et d'un software - ce système de codes, de langages et de normes dont la cohérence est loin d'être assurée. Mais tant qu'il marche, nous l'oublions. Nous le considérons comme un lieu où sont mis en réserve des textes, des images, des objets. Il faut qu'il dysfonctionne pour qu'il redevienne ce qu'il est.
Il y a donc un enjeu. Si l'Internet se referme sur sa crypte, sa programmation, alors il nous emprisonnera dans une calculabilité infinie. Mais si nous pouvons dégager en lui des traces, des semences susceptibles de produire plus que ce qu'elles sont, des forces capables d'altérer la matière, de générer du discours, si nous réussissons à assumer ses mutations potentiellement infinies, alors nous mettons en branle un processus analogue à la pensée.
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