1. Une autre perspective.
Prenons comme point de départ une idée banale, presque un cliché, dont nous savons qu'il est contestable et contesté. A la suite de Panofsky (qui n'a pas voulu pousser son analyse au-delà du 19ème siècle), supposons qu'une autre perspective, la perspective actuelle (dite aussi perspective immédiate) aie pris vers le début du siècle dernier la suite de la perspective classique, illusionniste, celle de la Renaissance. Faisons l'hypothèse d'un espace contemporain à deux versants, double, bifide, duplice. Appelons espace vocal sa face logocentrique et espace de dissémination l'autre face (l'envers). Supposons que les deux dimensions aient toujours existé mais que la première ait été seule lisible, jusqu'à ce que la seconde émerge sous une poussée inimaginable. Admettons qu'elles se supportent l'une l'autre, malgré leur rivalité. Supposons qu'un même processus aie été à l'oeuvre dans l'art depuis le regard sourd de Goya, qui inaugure la duplicité inhérente à la modernité, jusqu'à l'ébranlement suscité par l'Internet dans les conduites et les institutions.
2. Une syntaxe du plus.
L'espace de dissémination a sa propre syntaxe : celle du plus. Un supplément hétérogène y fait irruption, le rendant indécidable, y produisant une perspective qui ne se laisse ni classer, ni cadrer. Les bornes que l'art officiel avait su imposer à la différance y sont caduques. Les oeuvres débordent. Dans un mouvement incessant, elles multiplient les adresses et les surenchères. Autorisée, voire prescrite, la dissémination est le nouveau terrain de jeu de tous les expérimentateurs. Voici Manet puis Cézanne : un réel qui n'imite pas. Il fut un temps où l'émergence d'une telle chose provoquait l'indignation, mais maintenant c'est l'inverse, c'est devenu la norme : nous voici dans l'hypermodernité avec son art dominant, l'hypercinéma, et son cyberespace, le web. Les corps, disloqués, s'exposent.
3. Un espace vocal.
On peut aussi présenter l'espace de dissémination en partant de l'autre côté. L'espace vocal est le genre de spatialité dans lequel, aujourd'hui, nous nous trouvons. Dans toutes les religions, des voix se sont révélées quelque part, et notre culture a tendance à tout commenter (insistance du logos). Depuis le tournant 19ème/20ème siècle, il se passe quelque chose de nouveau. La voix se sépare du corps. Sa portée s'étend démesurément. L'espace se remplit de voix qui ne sont plus sacrées, mais banales, usuelles. Cette tendance a été ressentie avant même l'émergence de la radio et du téléphone. Avec la télévision, le cinéma, la diffusion massive de la musique, Internet et quelques autres gadgets et/ou technologies en cours de développement, la tendance atteint une ampleur sans précédent. Ces voix échappent à leur propre présence. Elles deviennent enveloppantes, anonymes, obsédantes, elles creusent un envers qui troue l'espace, marque hétérogène dans le tissu vocal, dissémination de points inaudibles et imprononçables, déchets dans un monde que nous ressentons soit comme vide de voix (acousmatique), soit comme excessivement vocalisé. Elles font tenir l'espace et viennent à la place des images. C'est là, dans cette tension, que nous retrouvons l'espace de dissémination.
|