La parole vive (la voix) a une certaine portée. Si on définit une communauté comme le lieu où chacun se trouve en présence directe de l'autre, c'est la portée de la voix qui définit la taille de la communauté. Aujourd'hui cet espace s'élargit démesurément. Il profite de toutes les amplifications, technologiques et psychologiques. Est-il imaginable qu'à terme les communautés puissent s'étendre à tous les êtres parlants? C'est ce qu'on appelle la globalisation. On peut vivre le processus négativement (déjà Goya le ressentait ainsi vers 1800) ou positivement, mais il est inarrêtable. Les communautés ainsi formées sont aussi fragiles, fragmentées et volatiles que les voix. C'est l'une des dimensions du cyberespace, c'est l'un des traits de l'espace vocal.
La voix fait groupe. Plus elle porte, plus le groupe s'unit. Un groupe vraiment uni n'aurait qu'une seule voix, unanime, centrale, et ce serait effrayant, surtout si cette voix était celle d'un appareil ou d'une machine.
Y a-t-il encore, aujourd'hui, des communautés auxquelles on puisse appartenir? Toutes sont ambigues ou complexes, qu'elles soient politiques, générationnelles ou éthiques.
Les groupes d'amis fonctionnent différemment, peut-être moins sur la voix que sur la parole.
Tout communauté repose sur un héritage qu'elle défend, parfois au prix de son propre sacrifice. Des voix s'en extraient : la voix singulière, la voix prophétique, ou encore la voix hyperbolique de Jacques Derrida. Elles ignorent ou consument l'espace commun.
Une addition d'individus ne fait pas foule. Pour qu'il y ait foule, il faut un mouvement collectif dont la cause peut être, par exemple : un leader, un meurtre, une passion partagée par tradition ou par fanatisme.
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