Ce tableau est une sorte de somme (ou de récapitulatif énigmatique) du travail que Jasper Johns a fait sur la peinture, l'empreinte, l'objet et l'outil dans les dix années qui ont précédé (1954-64). Il y a eu une première version en 1964, endommagée lors d'un transport et une seconde version en 1967 (le fait qu'il ait réalisé trois plus tard une nouvelle version montre l'importance qu'il attachait à ce tableau). C'est la plus grande peinture grise que Johns a réalisé pendant cette période. Quelques années plus tard (après 1968), il refera un tableau sur le même thème, intitulé Voice 2, mais plus coloré, moins allusif. Ce tableau-là appelle l'interrogation. Pourquoi avoir inscrit justement le mot voix, alors que les années précédentes, il inscrivait plus volontiers, par exemple, les mots Red - Yellow - Blue à la place des trois couleurs fondamentales? Tout se passe comme le mot voix remplaçait d'autres mots. Voice serait-il un méta-mot qui désignerait tous les autres mots?

Quand on regarde le tableau à une certaine distance, on ne distingue presque rien. Johns joue avec l'invisibilité de la voix? On ne devine que quelques détails : une fourchette, le travail torturé de la peinture grise, la trace circulaire provenant du raclage du tableau par un instrument. Tout cela ne prend sens que par rapport à d'autres tableaux de Johns (dans la mesure où cela prend sens). Mais restons-en à la question de la voix, qui nous préoccupe. Le mot est inscrit en lettres fragiles, à gauche, sur le point d'être effacé par le rouleau compresseur. La voix est ce qui, jamais, ne peut être représenté en peinture, et c'est justement pour quoi c'est là. Mais comme il ne s'agit pas de linguistique, mais de peinture, un autre objet fait contre-poids : la fourchette.