Derrida
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TABLE des MATIERES :

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Index des termes

de l'oeuvre

de Jacques Derrida

Un seul mot - ou un syntagme.

         
   
Derrida, la langue                     Derrida, la langue
Sources (*) : La pensée derridienne : ce qui s'en restitue               La pensée derridienne : ce qui s'en restitue
Pierre Delain - "Les mots de Jacques Derrida", Ed : Guilgal, 2004-2017, Page créée le 14 novembre 2006 Folie de la langue sacrée, maternelle

[Derrida, la langue]

Folie de la langue sacrée, maternelle Autres renvois :
   

Derrida, le langage

   

Derrida, la traduction

   

Derrida, la Tour de Babel

Orlolivre : comment ne pas s'entendre, se sentir? Orlolivre : comment ne pas s'entendre, se sentir?
                 
                       

1. Une langue, et plus d'une langue.

Le langage renvoie à une structure, tandis que les langues parlées sont doubles.

a. Chacun a une langue qu'il parle, la sienne, son idiome. Son monolinguisme, c'est qu'il ne parle jamais que cette langue là, qui est sa loi (même s'il est bilingue ou trilingue). Mais cette langue unique, singulière, n'aurait pas pu se mettre en place sans la contrainte d'un autre monolinguisme : celui du pouvoir souverain qui force à partager une langue. Il faut un pouvoir de nommer, d'imposer une loi (pouvoir étatique ou non, national ou non) pour que chacun puisse se l'approprier. Comme toute loi, elle vient d'ailleurs.

b. L'autre loi, antinomique de la première : c'est qu'un locuteur ne peut pas ne parler qu'une seule langue. Une force s'exerce en lui (une archi-écriture), qui lui fait parler plus d'une langue. C'est la définition même de la déconstruction. Aucune langue n'étant totalisable, il y en a toujours plus qui ne t'appartient pas; on ne peut se référer à un idiome que dans un autre idiome. Ta langue est toujours celle de l'autre.

C'est pourquoi Jacques Derrida dit de lui-même (mais cela vaut pour quiconque) : Je n'ai qu'une langue, et ce n'est pas la mienne. Ce qui a fait office de langue maternelle [le français] m'a toujours renvoyé ailleurs. Ma propre langue est inappropriable - nul ne pouvant posséder sa langue, nous sommes tous exposés à ses équivoques indécidables, ses folies. Dans ma langue idiomatique sont inscrits, marqués mes traumas singuliers, mes blessures; mais la langue suit sa propre loi, elle redouble ces offenses (re-marque). Il faut partir de ce repli de la langue sur elle-même, de ces exapropriations, pour s'ouvrir à une politique, un droit ou une éthique.

 

2. Du don de la langue à l'autre langue.

Avant tout contrat, avant toute relation, il faut avoir acquiescé à la langue, il faut l'avoir partagée dans une communauté minimale, une archi-amitié, une aimance.

Alors que le système du langage (le sens, la raison) fait prévaloir la présence, le don des langues est ambivalent. D'une part un phénomène de don/contre-don y opère (nous les recevons, nous les prenons, nous les rendons), mais d'autre part elles ne reviennent pas à leur point de départ, elles se disséminent, elles gardent la différance. Elles sont accessibles à toutes les greffes et transformations.

A travers elles, l'être parle. Parler, c'est faire un détour par ce qui est inscrit dans la langue, et aussi ce qui n'y est pas inscrit : la différance. Parler, c'est faire effraction dans la clôture sur soi de la langue, c'est accueillir un hôte incompréhensible qui oblige, tôt ou tard, à parler autrement. Parler, écrire, traduire, c'est remplacer l'irremplaçable, c'est faire venir une autre langue, inouïe, en appeler à une langue toute autre, une langue sacrée faite uniquement de noms singuliers. On peut comparer la langue de la déconstruction (une langue toujours unique, intraduisible) à une telle langue impossible, illisible. Jacques Derrida s'est cru obligé de la suivre jusqu'au point, dit-il, où les décisions ne seraient plus possibles. Il lui fallait répondre à cet appel, c'était son désir, au risque de se précipiter ou de précipiter cette langue, cet idiome, dans un abîme ou dans la folie. C'est le prix d'une voix tremblante, cachée, ininscriptible.

 

3. Histoire.

La langue est historique. Elle tient à une date, un lieu, un contexte politique. Croire en une langue originelle fondatrice d'une généalogie, d'une communauté, d'une nation (notre langue), c'est ouvrir le champ des passions religieuses ou nationalistes qui associent à un idiome singulier un lien social, familial, ethnique. L'élément de la langue y est irréductible et intraduisible, comme chez Heidegger, qui prétend que la philosophie ne peut penser que dans la langue du haut et vieil allemand. Cette justification spirituelle qui affirme garantir le salut d'un peuple peut rendre les citoyens fous dans une langue folle, délirante, ce qui est arrivé avec le nazisme.

La "vraie" philosophie (au sens de Descartes) impliquerait une langue universelle construite selon l'ordre universel des pensées ou des raisons. Mais une telle métalangue, qui effacerait la différence sexuelle et même toute possibilité de différance, porterait la loi d'un père monstrueux.

 

4. Babel.

Dans le récit biblique de la tour de Babel, on peut lire les paradoxes et apories du rapport à la langue. Babel est à la fois un nom propre - celui de l'unicité - et le nom commun de la confusion. Jacques Derrida en appelle à une pratique post-babélienne qui préserve la différence des langues. Plutôt que de traduire (deux fois une langue), ce qui ne peut qu'échouer, il invite à ne pas effacer l'étranger en soi. Sa formule est : au moins deux langues (il faut, au moins, une langue supplémentaire). Cette expérience d'expropriation, d'impossibilité de revenir à soi et à son identité, il la compare à une circoncision, cette pratique qui nous fait naître à la langue par une perte irrécupérable.

 

 

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Propositions

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On ne peut nommer la différance - qui est plus vieille que l'être lui-même - qu'à partir des tracés abrités dans la langue que nous parlons

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La différance est le détour par la langue par lequel je dois passer pour parler

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Si j'avais à risquer une seule définition de la déconstruction, je dirais sans phrase : "plus d'une langue"

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La différance est le concept ultra-transcendantal de la vie qui permet de penser la vie et qui n'a jamais été inscrit dans aucune langue

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La langue obéit à deux lois antinomiques : 1/ on ne parle jamais qu'une seule langue 2/ on ne parle jamais une seule langue

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Jacques Derrida : "Je n'ai qu'une langue, et ce n'est pas la mienne"

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La langue est un phénomène de don-contre-don, un donner/prendre où se dit, s'écrit, se replie l'ambivalence du don

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Avant tout discours, l'expérience de la marque articule dans la langue, à même le corps, les traumas singuliers et la structure désappropriante de la loi (re-marque)

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La langue est inappropriable, et cette exappropriation - qui la rend folle - est seule à pouvoir ouvrir à une politique, un droit et une éthique

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La folie de la loi loge dans son auto-hétéronomie : je dois me l'approprier comme une langue, mais elle vient d'ailleurs

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Avant tout autre contrat, une amitié d'avant les amitiés, ineffaçable, inavouable, incommensurable, fondamentale et sans fond, respire dans le partage de la langue

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Le monolinguisme de l'autre, c'est d'abord le pouvoir souverain de nommer, qui témoigne de la structure coloniale de toute culture

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L'être / parle / partout et toujours / à travers / toute / langue

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La langue institue le phénomène irréductible du "s'entendre-parler pour vouloir-dire" - mais elle l'institue comme langue de l'autre, fantasme ou spectralité

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Le verbe "être" avec sa fonction de "copule" représente une effraction dans la clôture sur soi de la langue, il l'ouvre à son dehors

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Je me rends à la langue - la mienne et celle de l'autre -, mais avec l'intention de faire qu'elle n'en revienne pas

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La mère, comme lieu de la langue, est l'unique irremplaçable - qu'il faut remplacer car l'insuppléable est la folie même, toujours à l'oeuvre

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Pliée entre l'universel et l'idiomatique, entre le schème normatif et l'événement, la langue est accessible aux greffes, transformations et expropriations les plus radicales

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Avec la déconstruction, quelque chose arrive à la langue : jouissant d'elle-même, elle accueille un hôte incompréhensible qui l'oblige à parler autrement

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En l'absence de langue maternelle, quand le passé est indisponible, surgit le désir d'écrire pour restaurer une langue originaire - comme promesse d'une langue à venir

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Nouvelle internationale : Poètes-traducteurs, révoltez-vous contre le patriotisme, faites pousser une autre langue!

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Une avant-première langue, toute autre, laisse sa marque dans la langue - mais comme un dehors absolu, hors-la-loi, une promesse, un appel à venir

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La langue et la nation forment le corps historique de toute passion religieuse

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Le langage de la raison, c'est le langage "en général"; et l'histoire de la Raison "en général", c'est l'histoire du sens

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Forcer à partager une langue, c'est détenir un pouvoir qui n'est pas seulement linguistique : frayer, tracer, ouvrir la route, contrôler la marche, les marques et les marges

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Le nazisme a montré que la langue pouvait devenir folle - et entraîner avec elle la loi et l'origine du sens

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En pensant l'"allemand" depuis une origine qui le déborde, Heidegger reproduit l'ambiguité de tous les discours nationalistes

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Le style de Heidegger, sa manière, recourt à ce qu'il nomme "notre langue" : la signification supposée originelle, intraduisible, de mots en haut et vieil allemand

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La traduction (deux fois une langue) ne peut qu'échouer, car elle efface l'étranger en soi (au moins deux langues)

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"Se référer à un idiome dans cet idiome même" (autoréférence) est un événement qu'on ne peut traduire dans un autre idiome sans l'effacer

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Pour acquérir la "vraie" philosophie, il faudrait, selon Descartes, établir un chemin, un ordre des pensées universel et simple - mais en aucune langue, il ne serait réalisable

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Le prix à payer pour le progrès de la philosophie, sur le chemin cartésien d'un ordre intelligible énoncé dans la langue courante, est l'effacement de la différence sexuelle

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L'essence de la maternité tient à la langue maternelle, tandis que le père occupe la place intenable d'une langue formelle ou d'un métalangage, impossible et monstrueux

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Chaque fois que j'ouvre la bouche, je promets : et cette promesse annonce l'unicité d'une langue inouïe, à venir

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Une langue sacrée faite uniquement de noms singuliers - ni conceptuelle, ni formalisable, ni instrumentalisable - serait indissociable du nom de Dieu

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[Une langue qui garderait le pouvoir de nommer - langue sacrée ou fantasme de langue maternelle - pourrait précipiter dans l'abîme : folie, catastrophe, apocalypse, mal radical]

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Le "je" de Jacques Derrida s'est formé dans une expérience insituable de la langue : un interdit qui renvoyait ailleurs, à l'autre, à une autre langue

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"Viens!" - il faut que je suive la langue jusqu'au point où les décisions ne sont plus possibles, vers une chose illisible, inouïe, qui rassemble la vie et la mort

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Le prépuce, comme la voix, se détache du corps : impossible de ne pas laisser de trace dans la langue

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L'expérience de ce qui nous fait naître à la langue est indissociable du don, de la circoncision ou de l'être-juif

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Babel, c'est à la fois le nom propre de l'unicité (une langue), et un nom commun semant la confusion (plus d'une langue)

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