Jacques Derrida répond de lui-même à une question qui ne lui a pas été posée. "Peut-on critiquer au nom d'autre chose que la vérité et la science?" Eh bien non, on ne peut pas. Freud l'avait reconnu, tout en repérant le caractère fétichiste de cette position (comme le pénis de la mère, la vérité est présente et absente). Derrida, lui aussi, le reconnaît, mais à travers sa formulation non dépourvue d'ironie, "Il faut", il repère son caractère disséminateur (car la dissémination, elle aussi, a une loi).

En effet, cette "vérité" est celle de Husserl, celle de Nietzsche, et aussi celle de Descartes, et aussi celle de Heidegger. Elle n'a donc rien d'empirique ni de naïf. Il "ne faut pas" se laisser mystifier par elle.

Derrida utilise souvent le verbe "Il faut" pour définir la tâche qu'il se donne à lui-même. Il faut la vérité, mais il faut aussi, par exemple, crever la philosophie ou penser la justice. Chaque fois, ces affirmations sont à prendre en tenant compte du commentaire qu'il en fait lui-même : "Je répéterai donc, laissant à cette proposition et à la forme de ce verbe tous leurs pouvoirs disséminateurs, il faut la vérité" (les italiques sont de lui). Tout ce qu'il faut, il le faut dans la perspective de la déconstruction qui, pas plus que la dissémination, ne peut être un lieu de vérité. Il y a obligation; mais aussi distance par rapport à cette obligation.