Un nouveau régime d'historicité a pris forme dans la seconde moitié du 20ème siècle. La catégorie du présent monte sur tous les fronts. Tout se dit au présent, y compris l'histoire : on parle d'"histoire du temps présent".
Dans la pensée des Temps modernes, le présent était sacrifié au profit d'un idéal de perfectibilité et de progrès. Il n'était que la veille du lendemain. Entre l'expérience actuelle et l'attente, il y avait asymétrie : l'attente était valorisée. Avec le présentisme, cet évolutionnisme qui naturalise le temps est menacé par la notion d'une histoire plurielle, une histoire qui joue aux dés ou qui favorise l'entropie. C'est une crise du temps, une perte d'articulation entre passé, présent et futur. Entre l'expérience et l'attente, il y a rupture. Nous vivons entre deux abîmes : un passé inutile et un avenir sans figure, qu'on cherche à maîtriser en y projetant la situation présente. L'engendrement du temps historique semble suspendu. Le présent, quoique valorisé, est insaisissable et perpétuel. L'économie médiatique ne cesse de jeter en avant, dans l'urgence, de l'événement chargé d'émotion mais déjà dépassé. Elle tend à produire son propre temps historique, ce qui revient à nier le temps.
On peut dire de l'histoire ce qu'on dit des avant-gardes : elle apparaît comme une succession d'événements qui s'auto-historicisent et s'auto-commémorent. Exemple : le 11 septembre [2001].
Le temps courant est modifié. Il prend l'aspect d'un objet de consommation. L'espace, modifié lui aussi depuis Manet, devient théatral, il se vocalise.
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Et Walter Benjamin pourrait ajouter : en renonçant à toute expérience et à toute trace, les hommes aspirent à une nouvelle forme de barbarie.
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