En affirmant que la science et la religion sont indissociablement liées, qu'elles ont une source unique, qu'elles fonctionnent selon la même double logique d'auto-immunité, Jacques Derrida s'oblige à les penser ensemble. Dans les deux cas, il s'agit de penser une alliance entre le calculable et l'incalculable, entre le nombre d'un côté (binaire, numérique, digital) et l'innombrable.

Mais curieusement, l'exemple qui lui vient à ce stade est celui de peuple juif (l'inventeur de la circoncision, cette épreuve de l'indemne qui est aussi une alliance hétéronomique). En quoi le peuple juif illustre-t-il cette tension? Par la démographie. Ce peuple si peu nombreux, si faible par la quantité, peut-il survivre à l'époque de la mondialisation? Comment expliquer sa résistance, sa survivance inouïe, sa capacité à témoigner de sa foi, à garder lisible la Bible, comme le dit Lévinas? C'est une question qui concerne tous les juifs (et sans doute Derrida, le même Derrida qui a plus d'un fois marqué sa distance et sa méfiance à l'égard du concept même de "peuple", se compte-t-il lui même parmi eux). On ne peut y répondre sans penser ensemble le calculable et l'incalculable.