C'est un genre de spectre qui n'apparaît qu'à contre-jour. Ceux qui le voient de face sont stupéfaits car ils ne savent pas ce qu'ils voient. Ils y sont livrés. Ce n'est rien, et c'est justement pour ça, à cause de ce rien, que c'est si angoissant. En ce qui nous concerne, nous ne voyons le bouc que de dos, ce qui empêche toute identification de type cinématographique. Purs voyeurs, nous sommes protégés, mais un écran invisible nous sépare de cet autre monde où le réel se manifeste (si ce n'est la face de dieu, c'est celle du diable). Rien ne peut nous arriver à nous, mais, là-bas, quelque chose arrive, terriblement étrange mais jouissif, hétéronome. Eux le voient mais pas nous, nous sommes frustrés. Nous échappons à l'horreur, mais c'est au prix d'une renonciation à la toute-puissance du regard. Dans l'art de Goya, contrairement à la télévision, il n'y a aucune complaisance pour le spectateur.

Entre l'humaine fragilité du peuple et le bouc, la tension est palpable. Ils sont serrés les uns contre les autres. Tous sont tournés vers cet être irréel qui se détache à contre-jour, qui semble parler. Qui est-il? Que dit-il? Messe noire, satanique, de jouissance et d'effroi, Le Grand Bouc est une voix, La Voix. Ils sont bouche bée, stupéfaits. Ils ne voient qu'une ombre, et ce qu'ils entendent n'a aucun sens.

A l'extrême droite, la pureté semble s'être concentrée dans un personnage féminin jouant de l'accordéon. Pour elle seule, la musique couvre la Voix. Elle échappe à la fascination.