Un portrait, c'est montrer quelqu'un qui n'est pas là. Ce qu'il était, son visage dans sa nudité, a disparu. C'est "comme s'"il était là - mais il n'est pas présent. Ce qui est représenté est absent. C'est une ruine, un spectre. Ce n'est pas un autre (un prochain), c'est, irréductiblement, un tout-autre. Les surréalistes et quelques autres n'ont pas manqué de pousser cette logique à l'extrême.
Peindre ou dessiner un portrait est un rituel de retrait. De l'être dessiné, il ne reste qu'un trait, c'est-à-dire presque rien.
Il en est ainsi pour tout dessin : nous sommes aveugles à ce qui est dessiné. Ce qui s'expose [le référent] est sans-voix. Il ne peut plus rien dire.
Un portrait est silencieux. Je ne peux l'identifier que par le titre ou la légende - c'est-à-dire des voix. Il en appelle à la mémoire, à la réverbération de ces voix. Etant donné que la parole lui manque, on se tait devant lui. On lui confère un statut d'énigme, en supposant qu'une vérité ou un sens en émergera.
Tout portrait est une allégorie de la voix ou de ce qui la prolonge, par exemple la musique (cf Boulez).
Ce qui vaut pour le portrait vaut aussi pour l'autoportrait : le peintre nous fait entendre, dans le silence, la présence à lui-même de son propre nom.
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